Carottes

Illustrations de carottes

Classification botanique

 La Carotte, Daucus carota, fait partie de la Famille des Apiaceae.
Le genre Daucus comprend environ 60 espèces connues.

On peut considérer deux types de carotte cultivée :

– la carotte occidentale : daucus carota var. sativus. Elle se caractérise par un feuillage peu découpé, glauque et pubescent.

– la carotte orientale : daucus carota var. atrorubens. Elle se caractérise par un feuillage très découpé, de couleur vert franc ou vert-jaune et peu pubescent ainsi que par la présence de pigments anthocyaniques.

Histoire

Arc en ciel de carottes
Arc en ciel de carottes

Il n’est pas aisé de remonter aux origines premières des carottes. Le codex de Dioscoride de Constantinople (vers les années 500) dépeint une carotte orange, aux feuilles petites et denses. Les Romains les appelaient de plusieurs noms dont “Pastinaca” (maintenant utilisé pour les panais) et “Carota” dérivé du grec “karoton”, qui serait lui-même dérivé d’un terme sanskrit. Vers les années 1300, la carotte violette était cultivée en Italie et, agrémentée de miel, était consommée en dessert. Les variétés jaunes et violettes étaient cultivées en Espagne vers les années 1100, ramenées par les Arabes de la Syrie et de l’Iran.

Ce n’est sans doute que vers les années 1500 que les formes blanches, jaunes et violettes commencèrent à se répandre largement à toute l’Europe. De très nombreuses variétés se développèrent durant les derniers siècles dont les couleurs varient du blanc au noirâtre en passant par le jaune, l’orange, le rouge et le violet. Leurs formes sont également très diverses puisqu’elles se présentent en courtes (Rouge à forcer parisienne), très courtes (Golden Ball), demi-courtes (Guérande), demi-longues (Chantenay, Danvers, Nantaise), longues (St-Valéry). Il est d’autant plus essentiel de conserver la grande diversité des variétés de carottes que ces légumes sont très sensibles aux conditions de cultures : climat, sol. Plus la diversité sera étendue, plus les jardinies pourront trouver “leur” carotte !

Conseils de jardinage

Carotte de guérande
Carotte de guérande

 Un des éléments essentiels pour une culture réussie des carottes est un sol bien drainé. Sous cet aspect, les trois premières semaines de croissance des jeunes carottes sont délicates. C’est durant cette période que la carotte développe cette longue racine pivot qui va devenir une racine succulente. Tout dommage occasionné à cette racine pivot va induire des malformations de la carotte en cours de maturité. Il est essentiel d’éviter, par exemple, que les sols soient trop compressés ou qu’ils soient gorgés d’eau.

Plantes Compagnes

 La présence de la carotte est bénéfique pour l’oignon car elle atténue les infestations de la mouche de l’oignon. Les carottes prospèrent avec les laitues, les tomates, les radis, les pois, les haricots, les ciboules et ciboulettes, ainsi que les poireaux. La mouche de la carotte est éloignée par les oignons, le romarin, la sauge, l’armoise et le scorsonère. L’oignon protège également la carotte du mildiou. La carotte, ainsi que d’autres plantes de la familles des Apiacées, attire un nombre important d’insectes auxiliaires dans le jardin ou le verger. Elle a des glandes nectarifères facilement accessibles, par exemple, à plusieurs espèces de guêpes parasitaires qui ne possèdent que des parties buccales courtes.

Pollinisation

L’inflorescence de la carotte est une ombelle composée de nombreuses petites fleurs généralement hermaphrodites. Chaque fleur possède 5 étamines et deux styles qui conduisent aux deux loges composant l’ovaire. Chaque loge contient un seul ovule. Chaque fleur peut ainsi produire deux semences. Le fruit de la carotte est un diakène : il se sépare en deux akènes à maturité.

Fleur de carotte
Fleur de carotte

Les fleurs de carottes sont normalement protandres: les étamines sont mûres avant le pistil. Les anthères libèrent leur pollen durant les deux premiers jours et le stigmate n’est réceptif qu’à partir du troisième jour. Il y a donc en majorité des pollinisations croisées. Cependant, la possibilité d’auto-fécondation au niveau de la plante demeure en raison de la succession des ombelles sur une même plante et de l’épanouissement successif des fleurs individuelles au sein d’une même ombelle. Les insectes constituent le principal vecteur de pollinisations croisées.

Ce sont en particulier les abeilles et des espèces d’Hymenoptères, de Diptères et de Coléoptères. Dans les années 1960, des études réalisées aux USA, dénombrèrent la présence de 334 espèces d’insectes sur les fleurs de carottes, représentant 71 familles. Pour les Hymenoptères: Apoidea, Ichneumonidae, Psammocharidae, Sphecidae et Vespidae. Pour les Diptères :  Bombyliidae, Sarcophagidae, Stratiomyidae, Syrphidae et Tachinidae. Plusieurs genres des Apoidea constituaient des pollinisateurs importants. La plupart des études mettent en valeur l’importance de l’abeille pour une production de belles semences de carottes.

Dans les années 1960 également, des expérimentations ont été réalisées afin de déterminer l’influence des insectes sur une bonne production de semences de carottes. Le premier lot était en plein air, avec la présence de toutes sortes d’insectes, le second lot dans un tunnel voilé ne permettant que l’introduction de petits insectes et le troisième lot dans un tunnel voilé empêchant toute introduction d’insectes. Le premier lot en plein air produisit 7 fois plus de semences que le lot totalement isolé et le second lot, avec les petits insectes, produisit 5 fois plus de semences que le lot complètement isolé.

On peut en déduire que des carottes totalement isolées des insectes peuvent encore produire des semences sous l’effet de l’agitation du vent et surtout de par  le fait que les ombelles porte-graines soient entremêlées. Cependant, ces investigations mirent également en valeur que la qualité des semences (capacité germinative et vigueur) était de loin inférieure.

Les inflorescences des carottes sont généralement de couleur blanche. Cependant, certaines variétés de carottes violettes possèdent des ombelles de couleur variant du rose au violet.

La floraison dure environ quatre semaines. Afin de conserver la pureté variétale, il est conseillé d’isoler deux variétés de porte-graines d’environ un kilomètre. De plus, il est essentiel que dans un rayon d’un kilomètre, il n’y ait pas du tout de carotte sauvage car cette dernière s’hybride très aisément avec les variétés cultivées. En effet, dans certaines régions du monde, la contamination des carottes cultivées par du pollen issu de carotte sauvage est une des raisons principales de la détérioration de la pureté variétale.

Production de semences

Semences de Carottes
Semences de Carottes

Selon certains botanistes, il y aurait deux réservoirs génétiques à partir desquels les sélections auraient été effectuées : l’Europe pour les carottes à carotènes et l’Asie pour les carottes à anthocyanine, plus spécialement l’Afghanistan, pays dans lequel on trouve encore beaucoup de carottes violettes. Nous avons déjà souligné que l’origine des divers types de carottes reste très controversée. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que certaines variétés ont tendance à se comporter en plantes annuelles alors que d’autres se comportent assurément comme des plantes bisannuelles. Les variétés de carottes originaires d’Asie ou d’Afrique du nord ont tendance à se conduire comme des plantes annuelles lorsqu’elles sont cultivées en jours longs.

Elles n’ont donc pas besoin de période de vernalisation et vont produire leurs semences durant la première année de culture. Les variétés de carottes qui ont été développées dans les zones tempérées de l’Europe et de l’Amérique sont normalement des plantes bisannuelles. Durant la première année, elles produisent une racine et une rosette de feuilles et elles nécessitent une période de vernalisation afin de fleurir et de monter en graines. Les semences sont donc produites durant la seconde année de culture. Pour ce faire, les racines sont déterrées à l’approche de l’hiver et elles sont sélectionnées pour ne garder que les plus belles, ou les plus grosses ou les plus longues, les plus sucrées ou les plus savoureuses… On peut en effet  les goûter car il est tout à fait possible de consommer la partie inférieure de la racine que l’on destine à être un futur porte-graines. Le principal est que la partie supérieure de la carotte (5 à 8 cm), et donc le collet, ne soit pas lésée car c’est de cette partie de la racine qu’émerge la tige porte-graines.

Carotte orange longue lisse de Meaux
Carotte orange longue lisse de Meaux

Les racines sélectionnées sont conservées en silo, soit placées à la verticale dans des cagettes, soit enterrées dans du sable, dans un local hors gel. Il ne faut absolument pas les laver, seulement les nettoyer et leur couper le feuillage au-dessus du collet. Les conditions idéales de stockage sont 1°C et 90 à 95 % d’humidité. Il est conseillé d’inspecter, quelques fois durant l’hiver, les carottes stockées afin d’éliminer les racines qui seraient atteintes de pourriture afin qu’elles ne détériorent pas le lot entier. Elles sont ensuite repiquées, au début du printemps, lorsque les gros risques de gels sont passés, en enterrant la racine de telle sorte que le collet soit au niveau du sol ou légèrement en-dessous.

Les recherches effectuées récemment semblent donner la préférence à un repiquage assez serré des porte-graines afin de ne pas favoriser l’émergence de tiges porteuses d’ombelles tertiaires dont les semences sont de qualité inférieure. Dans les zones plus méridionales, les carottes peuvent très bien rester en terre durant l’hiver lorsque la terre ne gèle pas assez fort pour les léser. Cependant, la technique d’arrachage et de repiquage possède l’avantage considérable de permettre la sélection des racines les plus adaptées aux critères du jardinier. Cette technique permet également d’éliminer les racines issues de semences qui auraient été hybridées avec des carottes sauvages.

Carotte violette Cosmic Purple
Carotte violette Cosmic Purple

Les fleurs individuelles de carottes sont rassemblées en ombelles qui s’épanouissent à l’extrémité des tiges. Les ombelles qui s’épanouissent en premier lieu sont les ombelles “primaires” : elles se  trouvent à l’extrémité des tiges principales. Les tiges qui se développent à partir des tiges principales forment des ombelles dites “secondaires”. Les tiges subséquentes forment des ombelles “tertiaires”. Il est conseillé de récolter de préférence les semences des ombelles primaires et ensuite, si besoin est, les semences des ombelles secondaires. La récolte des ombelles s’effectue, avec un sécateur, lorsque les premières semences mûres commencent à en tomber.

La période idéale est, dans ce cas, très tôt le matin lorsqu’il y a encore de la rosée. On peut également récolter les ombelles avant que les premières graines mûres soient totalement brunes. Dans tous les cas, il est conseillé de continuer le séchage de ces ombelles dans un endroit sec et ventilé. Lorsqu’elles sont totalement sèches, les ombelles sont frottées entre les deux mains, protégées de gants, ou dans un tamis approprié afin d’éliminer tous les débris.

Dans les zones tropicales, il est souvent impossible de produire des semences de carottes : les températures ne descendent pas suffisamment pour que la floraison puisse être induite. Un paysan d’une association de sauvegarde des variétés locales en Equateur nous a confié une technique permettant d’induire cette floraison. Il vit à 2800 m d’altitude dans la région de Quito et ne peut produire des semences de carottes qu’après avoir laissé les carottes pendant une dizaine de jours dans son réfrigérateur. Après cette période de froid forcé, les carottes rafraîchies sont remises en terre et montent à graines !

Les semences de carottes ont une durée germinative moyenne de 5 ans. Elles peuvent, cependant, conserver une faculté germinative jusqu’à 10 années et plus. Un gramme en contient de 700 à 800 lorsqu’elles sont barbues. Lorsqu’elles sont persillées, à savoir débarrassées de leur barbes, ou ébarbées, un gramme en contient un millier. Les semences de carottes peuvent parfois rester en dormance durant les trois premiers mois suivant la récolte. Selon le Guide Clause du Jardinage de 1926, les semences de carottes âgées de deux ans sont celles qui donnent le meilleur résultat.  Selon l’ouvrage de J. Vercier Culture Potagère de 1914, un bon porte-graines de carottes peut donner de 55 à 70 grammes de semences persillées.

Érosion génétique

Carotte violette Noire d'Espagne
Carotte violette Noire d'Espagne

Il nous paraît important de mettre en valeur l’hommage de Jean-Baptiste de Vilmorin, dans son ouvrage “Le Jardin des Hommes”, au petit peuple jardinier  d’antan qui nourrissait ses concitoyens sans agro-toxiques et sans diplôme universitaire : « Les nouvelles variétés de carottes furent créées au fil des ans par des jardiniers et des maraîchers grâce à leur INTUITION, leur DON DE L’OBSERVATION, leur TALENT. Ils sélectionnaient, reproduisaient et multipliaient les carottes qui, apparaissant spontanément deci-delà dans leurs cultures, leur semblaient différentes et peut-être prometteuses de nouvelles qualités. Il est aussi très vraisemblable que des hybridations se produisaient fortuitement à cause de la proximité d’autres cultures de carottes, ce qui favorisait l’apparition de caractères alors inconnus, souvent sans importance, mais parfois fort intéressants  (tendreté du coeur, précocité, racine plus courte, de forme arrondie…) ».

Que sont devenues ces anciennes «nouvelles variétés de carottes» ? Dans l’édition 1891 des “Les Plantes Potagères” de Vilmorin-Andrieux, 32 variétés de carottes sont présentées, pour la plupart originaires de France.  Dans la seconde édition de 1865 de “Field and Garden Vegetables of America”, Fearing Burr Jr. décrit 38 variétés de carottes.  Dans le catalogue Vilmorin de 1925, ce sont 40 variétés de carottes qui y sont présentées. Dans la collection du NSSL (banque de semences des USA), il y avait 287 variétés de carottes en 1903  et 21 en 1983, à savoir une perte de 92,7%. Aux USA, de plus, le Seed Savers Exchange a mis en valeur qu’il y avait, en 1981, 168 variétés non-hybrides de carottes présentées dans les catalogues de semences. Il en restait 65 variétés en 2004,  à savoir une perte de 61%.  Mr. Claude Foury dans son chapitre, d’ailleurs fort intéressant, sur l’histoire de la carotte (Histoire de Légumes. INRA) évoque les débuts de l’offensive du tout hybride. La création “tentante“ d’hybrides F1 de carotte étant trop onéreuse pour les entreprises, l’INRA la prend à sa charge (à la charge de l’argent public) en 1963. Il faudra 10 ans de labeur acharné pour transférer des stérilités-mâles cytoplasmiques de géniteurs Américains inutilisables (selon les mots de Mr Foury) à nos bonnes vieilles variétés bien Françaises (Nantaise et Touchon) et pour créer un large spectre de parents convenables. Le travail étant presqu’achevé, les entreprises semencières peuvent alors s’en saisir et faire beaucoup de bénéfices sans risque. Une situation rêvée pour le Capital : prise  de bénéfices sans investissements !

Carottes orange Demi Longue de Danvers
Carottes orange Demi Longue de Danvers

Nous avons peine à croire que l’agriculteur puisse en tirer un quelconque avantage. Ce qui est sûr, c’est qu’il est obligé de racheter ses semences chaque année.

Ce qui est encore plus sûr, c’est que le consommateur ne voit pas la différence entre une carotte hybride et une carotte non hybride lorsque toutes deux sont farcies de nitrates et de reliquats d’agro-toxiques. Ce qui est également certain, c’est que le système ne fonctionne pas du tout : la généralisation de la monoculture et la destruction des sols génèrent une augmentation dramatique du nombre et de l’impact des “ennemis“.

Et ce ne sont pas les nécro-technologies qui vont modifier ce cercle vicieux. Nous ne pouvons pas partager l’optimisme de Mr Claude Foury qui déclare que le catalogue national contient encore quelques variétés anciennes du domaine public et que, donc, il « n’est pas impitoyablement source d’érosion génétique ». Mr. Claude Foury nous apprend, par ailleurs, que les 5 premiers hybrides F1 de carottes ont été inscrits au catalogue national en 1977. À cette époque, il y avait 46 variétés inscrites dont 19 du domaine public. Mr Claude Foury précise ensuite que « depuis, la proportion d’hybrides n’a cessé de progresser pour atteindre en 1999, 93% des variétés d’obtenteurs… ».

Dans le Catalogue Officiel de 2004, sur 100 variétés, seulement 9 sont des anciennes variétés dont 1 en cours de radiation. Les  variétés hybrides F1 de carottes représentent 94 % des variétés d’obtenteurs et 85 % des variétés inscrites. Nous sommes donc envahis par l’hybridité F1 et une hybridité pour laquelle les obtenteurs déploient des trésors d’ingéniosité afin de cacher la monotonie génétique de leurs “obtentions” : Maestro, Major, Marco, Météor, Milor, Nanco, Nandor, Orféo, Pétra, Prago, Prédor, Prémia, Presto, Primo, Pulsor, etc. et, pour une petite touche de mordant, les incontournables Sénator, Gladiator, Aligator, Césaro, etc. !! Point n’est besoin de consommer des carottes pour y voir clair dans ce désert culturel. C’est du pur marketing : dans le catalogue officiel, 41 % des hybrides F sont des noms en “o” et 37 % des hybrides F1  sont des noms en “or”!!!

Les anciennes variétés de carottes fleuraient bon le terroir : “Demi-longue de Luc”, “Marché de Paris”, “Jaune du Doubs”, “Blanche de Kuttingen”, “Chantenay à coeur rouge”, “Rouge demi-courte de Guérande”, etc. Nostalgie. La modernité est a-culturelle et à la vitesse où elle détruit ses sols, elle sera bientôt a-culturalle!

Dans le catalogue du GNIS 2011 : il existe 72 variétés de carottes dont 60 hybrides F1, à savoir 84% des variétés inscrites. Limagrain en contrôle  57 variétés, à savoir 80 %. Les carottes seraient-elles cuites ?