LE fond de commerce du RSP

Le fonds de commerce du RSP : la confusion de tous les sujets et la dissimulation de ses objectifs réels

Suite à l’annonce que nous avons faite de cesser de participer aux forums de la nouvelle coordination européenne “Let’s Regulate Diversity” – en raison des manquements graves à l’éthique et à la démocratie que nous avons constatés lors du dernier forum de Bâle – le RSP (le Réseau Semences Paysannes), qui s’est senti visé personnellement, a pris l’initiative d’étaler publiquement ses dissensions avec l’association Kokopelli, en étayant son propos de divers arguments.

Nous y voyons une magnifique occasion pour finalement ouvrir le débat, exposer les tenants et les aboutissants de nos positions respectives, y mettre un peu d’ordre (beaucoup), et que chacun puisse ainsi y retrouver ses petits.

Bien que le RSP ait tenté d’ordonner son propos en quelques sections, sur le fond il convient de constater un méli-mélo d’arguments en tous genres, souvent contradictoires, qui, à la manière des discours prononcés par M. Kastler, porte-parole de l’organisation, nous a donné le tournis. A la lecture de ce texte, comme après ses nombreuses interventions en qualité “d’expert”, nous nous sommes demandés : « mais que veut-il dire exactement… ??? »

On voit ainsi mêlés, les uns aux autres, des termes et des concepts au contenu technique et au cadre juridique applicable tout à fait distincts : c’est ainsi que les “biotechnologies”, la “génomique”, la “biologique synthétique”, la “statistique”, les “OGM”, les “pesticides et les engrais chimiques”, côtoient de près les “brevets”, les “COV”, les “marques exclusives”, tout en accompagnant les questions de “commerce transfrontalier entre l’Argentine et le Brésil”, la “contamination des semences”, ou bien encore le concept de “souveraineté alimentaire” et les problèmes de « délocalisation (…) dans les pays champions du moins-disant social… »

Mais qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Et pourquoi ne pas mêler encore à tout cela Fukushima, la taxe carbone, la disparition des abeilles et le fléau des violences conjugales…?

Face à une telle confusion, il est évidemment impossible d’amorcer un dialogue rationnel. Nous allons donc tenter de remettre un peu (beaucoup) d’ordre dans tout ce chaos verbal. Nous réussirons peut-être à nous entendre après cela.

Il reste que nous sommes ahuris par l’épais brouillard qui règne dans les esprits des membres du Conseil d’Administration du RSP (nous pensions que seul M. Kastler souffrait de ce syndrome) et ne pouvons pas croire que les Universités qui en sont membres, et que le RSP met fièrement en avant, participent de cet effrayant chaos dialectique et conceptuel.

Un contresens majeur

Tout d’abord, il convient de corriger un contresens majeur que les membres du Conseil d’Administration du RSP font à la lecture du communiqué de Kokopelli. Disons que, pour être indulgents, nous l’attribuerons à leur mauvaise compréhension de l’anglais (notre communiqué n’existait initialement qu’en anglais).

-> Lorsque Kokopelli demande à ce que les variétés à pollinisation ouverte, appartenant au domaine public, soient exclues du champ d’application de la législation européenne sur le commerce des semences, cela ne signifie pas l’annulation de la dite législation, ni même la dérégulation du marché des semences dans son ensemble.

Le champ d’application d’une législation définit ses contours, c’est-à-dire les sujets, les personnes et les biens qui sont placés sous son empire et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ne le sont pas ne font pas disparaître cette législation. Ils n’y sont pas soumis, tout simplement. Une autre législation spécifique peut leur être applicable, ou bien alors ils sont régis par le “droit commun”.

Ainsi, l’association Kokopelli – dont les semences qu’elle conserve, cultive, multiplie, vend et distribue gratuitement ont été rendues illégales, depuis 1950 environ, par une législation autoritaire sur le commerce des semences – réclame le droit de les faire exister légalement sur le marché, dans les champs et dans les jardins, en dehors du cadre de cette législation spécifique qui ne concerne finalement que les semences modernes adaptées à l’agriculture industrielle et protégées par des droits de propriété intellectuelle.

Qu’y a-t-il de mal à cela ? Rien, évidemment. Mais le RSP n’avait pas compris qu’il ne s’agissait pas de déréguler totalement le marché des semences, donc nous n’irons pas plus loin dans les explications…

Quant à la très nécessaire régulation du marché des semences modernes et protégées, et bien il faut reconnaître à l’industrie un certain talent pour se doter de la législation qui lui convient le mieux. En tout autoritarisme et en toute méconnaissance des intérêts qui pourraient lui être contraires. Cela fait 50 ans que ça dure et nous lui faisons toute confiance pour s’assurer que les 50 prochaines années voient le législateur lui tailler parfaitement chaussure à son pied. Ergoter sans fin sur ce que devrait être LEUR législation ne sert à rien, à moins bien-sûr qu’on y ait intérêt parce que l’on prend part à ce marché des semences homogènes, stériles et protégées – ce qui n’est pas le cas de Kokopelli, mais le RSP est dans une situation bien différente, comme nous allons le voir tout à l’heure.

Pardon, mais quant à nous, nous préférons exister en dehors de cette législation qui détruit et opprime la biodiversité et ses gardiens depuis plus d’un demi-siècle.

A cela, le RSP rétorque qu’il ne serait pas question d’accorder une quelconque liberté aux “variétés à pollinisation ouverte appartenant au domaine public” dès lors qu’existerait le risque qu’elles soient confondues avec les très redoutées variétés OGM, mutagénées, synthétiques, technicisées, brevetées et tutti quanti… Et oui, c’est que toutes ces menaces avancent “cachées” !!!

Comment reconnaître, alors, nos variétés ? Rien de bien sorcier, pourtant : d’une part, comme elles appartiennent au domaine public, elles ne sont pas protégées par des droits de propriété intellectuelle, tels que brevets, COV ou marques exclusives. Ce n’est pas marqué sur l’étiquette, mais cela signifie que personne n’est autorisé à en réclamer la propriété, ou à prétendre toucher des royalties liées à leur utilisation dans la durée. Cela suffit pour décourager l’industrie – qui ne s’intéresse à la sélection variétale que parce qu’elle est synonyme de marché captif et de droits de propriété intellectuelle. Et si l’industrie voulait proposer une offre en semences libre de droits, pourquoi pas ? La législation applicable aux OGM ne cesserait pas de s’appliquer pour autant. Pas plus que celle applicable aux pesticides, au commerce transfrontalier, ou aux délocalisations…

D’autre part, comme la reproduction des semences par pollinisation ouverte n’a pas pour conséquence de les rendre dégénérescentes par consanguinité – au contraire des “procédés techniques interdisant aux paysans d’utiliser une partie de leur récolte comme semences” (hybrides F1) – les variétés à “pollinisation ouverte” sont librement reproductibles et cela est, tout simplement, vérifiable en culture.

Enfin, concernant l’émoi que provoque la promotion de la liberté (que nous avons déjà longuement justifiée dans nos précédents écrits) et la vieille métaphore du renard dans le poulailler, le RSP pourrait s’apercevoir que, dans le secteur des semences, il y a bien longtemps que les poules ne gambadent plus librement dans le poulailler, mais sont enfermées dans un élevage en batteries dont l’actionnaire majoritaire est maître renard lui-même… Face à cette situation, les poules seraient fort avisées de réclamer un peu de liberté !

Une grande confusion de tous les sujets

A ce contresens de départ, le RSP ajoute une grande confusion de tous les sujets touchant, de près ou de loin, aux semences, à l’agriculture, à la sélection végétale, à l’alimentation, au commerce, aux droits de propriété intellectuelle, etc.

Toutefois, chacune de ces catégories, pour autant qu’elle soit critiquable, doit être combattue séparément, au moyen du cadre juridique qui lui est propre :

✓ Ainsi, les plantes transgéniques, et leur mise sur le marché, en tant que semences ou aliments, sont régies par des textes spécifiques – qui s’appliquent indépendamment de la législation sur le commerce des semences. Sur-réguler ou dé-réguler le commerce des semences n’aura donc aucune incidence sur les contraintes légales et réglementaires qui s’appliquent aux OGM.

✓ Les problèmes de contamination à partir de ces plantes sont des problèmes de responsabilité civile qui n’ont pas fait l’objet d’une législation européenne mais qui sont régis soit par des lois nationales spécifiques, soit par les codes civils des Etats membres, soit par une combinaison des deux, comme c’est le cas en Allemagne ou en France. Sur-réguler ou dé-réguler le commerce des semences n’aura donc aucune incidence sur des faits de contamination entre cultures OGM et cultures non-OGM et sur les conséquences juridiques que cela pourrait avoir.

✓ La mutagénèse est une technique fort ancienne – qui copie un processus naturel extrêmement fréquent chez les plantes – qui doit être incluse, ou non (selon les effets établis de la technique sur les plantes), dans le champ d’application de la législation sur les OGM, afin qu’elle soit soumise aux mêmes contraintes que la transgénèse. La législation sur le commerce des semences, quant à elle, ne fait aucune distinction sur la méthode d’obtention de la variété. Il ne faut donc pas se tromper de campagne.

✓ La biologie synthétique n’a rien à voir, pour le moment tout au moins, avec le commerce des semences. Lorsque des semences “synthétiques” existeront, il conviendra de leur donner un cadre juridique spécifique. Mais l’ensemble des semences, en général, ne pourra être obéré d’une série de contraintes particulières du fait que certaines d’entre elles pourraient être “synthétiques” à l’avenir.

✓ Le droit des marques n’a aucun rapport avec la législation sur le commerce des semences, et il n’a d’ailleurs que des incidences très marginales sur celles-ci. Des dispositions sur les dénominations des variétés existent effectivement mais il ne s’agit pas de “marques” et leur régime est indépendant de celui des marques.

✓ Le droit d’obtention végétale (DOV) a également son régime juridique spécifique et, afin d’infléchir l’interdiction qui est faite aux agriculteurs de ressemer une partie de la récolte obtenue à partir de variétés protégées, il convient de militer pour l’assouplissement de ce régime spécifique. La législation sur le commerce des semences n’a rien à voir avec cela et ne peut rien pour les agriculteurs sur ce plan.

✓ Les brevets qui sont accordés par l’Office Européen des Brevets sur les plantes transgéniques et, plus récemment, sur des plantes issues de la sélection conventionnelle, sont également régis par des lois, conventions internationales et accords européens spécifiques récents. Rien ne sert donc de critiquer les brevets dans le cadre de la réforme de la législation sur le commerce des semences. Si le RSP souhaite s’y opposer, ce qui est louable, il convient de monter une campagne spécifique – au moment où une révision de ce corpus juridique est prévue – ou alors de se pourvoir en justice dès qu’un brevet est accordé sur une plante. Mais prétendre qu’en multipliant les contraintes et les contrôles sur le commerce des semences, y compris les variétés appartenant au domaine public (qui, par définition, ne sont pas brevetées), on va limiter l’octroi de brevets sur les plantes, c’est faire une erreur d’analyse grossière.

Quant à la contamination de l’agriculture tout entière par des plantes brevetées, comme cela est redouté par le RSP, il s’agit, ici encore, d’un problème de responsabilité civile, qui n’est absolument pas pris en charge par la législation sur le commerce des semences.

✓ Enfin, évoquons les hybrides F1 qui, effectivement, sont des “procédés techniques interdisant aux paysans d’utiliser une partie de leur récolte comme semences”. Ils sont au centre de la législation sur le commerce des semences. En fait, cette législation a été, pratiquement, dessinée pour eux. Et jamais le législateur ne s’est demandé s’il était juste ou éthique de priver l’agriculteur de la seconde génération des semences acquises sur le marché. Au contraire, il a élaboré un régime de droits de propriété intellectuelle permettant de pallier à l’impossibilité technique de fabriquer un “hybride F1”. La boucle du marché captif a donc ainsi été bouclée. Cela est fort regrettable, c’est vrai, mais c’est une réalité qui, n’avançant pas du tout “cachée”, s’est généralisée et est parfaitement assumée par les sélectionneurs, étiquetée, revendiquée. Rien à voir, donc, ici encore, avec les variétés à pollinisation ouverte qui, par définition même, ne sont pas des hybrides F1. Si le RSP souhaite, à l’occasion de la réforme actuelle de la législation européenne sur le commerce des semences, lancer une campagne contre les hybrides F1 et leurs effets de dégénérescence sur la seconde génération de culture, parfait, mais nous n’avons lu cela, à ce jour, dans aucun de leurs communiqués concernant cette réforme. Plutôt que de se crisper sur les “procédés techniques interdisant aux paysans d’utiliser une partie de leur récolte comme semences” nous préférons, de notre côté, offrir une alternative fertile avec des variétés librement reproductibles et libres de droits. Pourquoi les membres du RSP, afin de mettre un terme à leurs réclamations sans avenir, n’y ont-ils pas recours ? C’est une importante question, à laquelle il faudra qu’ils apportent une réponse tout à fait transparente (Voir ci-après).

✓ Pour finir, vous nous épargnerez de longs développements sur les questions de “pesticides et engrais chimiques”, de “commerce transfrontalier” d’OGM, de “souveraineté alimentaire”, ou bien encore de “délocalisation (…) dans les pays champions du moins-disant social”, tant il est évident que chacune de ces questions est régie par un cadre normatif spécifique qui lui est adapté – et qui s’applique indépendamment de la législation sur le commerce des semences.

Quant à la Coordination Européenne Via Campesina, nous n’avons rien écrit à son sujet et n’avons rien à lui reprocher en particulier, si ce n’est, lorsqu’elle se place sous le patronage de M. Kastler, ses méthodes peu démocratiques avant le Forum de Bâle, les rumeurs malveillantes qu’elle propage un peu partout sur Kokopelli (en Amérique latine notamment) et la même confusion généralisée de tous les sujets et de tous les arguments, à la fois juridiques et techniques, dans ses campagnes et communiqués récents concernant les semences.

Nous savons que d’autres personnes, au sein de la Via Campesina, font un travail sérieux, cohérent et rigoureux, et nous déplorons le fait qu’elles soient, trop souvent, mises en silence face au verbiage de certains “experts”. La piètre réputation dont pâtit la Via Campesina au sein des institutions bruxelloises pourrait fort bien être liée à cela et nous invitons donc l’organisation à y réfléchir.

Le Forum de Bâle, la coordination européenne “Let’s Regulate Diversity” et la genèse du RSP

Concernant le Forum de Bâle et la coordination européenne “Let’s Regulate Diversity”, nous avons exposé, dans tous les détails, la manière extrêmement choquante dont il s’est déroulé et les méthodes peu démocratiques ayant conduit à la création, toute clandestine, de ladite “coordination”.

Des méthodes très similaires, de la part des représentants du RSP, avaient déjà été dénoncées à la suite du Forum de Graz, en Autriche, et avaient déjà conduit au retrait de la plupart des organisations allemandes et autrichiennes du mouvement.

Concernant ce forum de Bâle, nous invitons toutes celles et ceux qui voudraient vérifier nos dires à consulter les documents et à écouter les bandes sons que nous avons joints à notre précédent communiqué.

Il reste que l’association Kokopelli – qui distribue, sur toute la planète, la plus grande collection de variétés anciennes, reproductibles et libres de droits, et se trouve courageusement en première ligne du combat pour la biodiversité, loin devant le RSP – a été soigneusement évincée, comme des dizaines d’autres organisations européennes d’ailleurs, des discussions menant à la création de la “coordination”. Et l’admission de son inscription au forum de Bâle n’est due qu’aux efforts de persuasion de Bela Barta (ProSpecieRara, Suisse), organisateur dudit forum.

Ces manœuvres de récupération de l’ancien mouvement européen “Let’s Liberate Diversity”, parfaitement illégitimes, n’auront abouti qu’à la création d’un groupuscule restreint, contrôlé par quelques uns, aux objectifs remarquablement peu ambitieux et condamné à la médiocrité. Nous en sommes navrés.

Quant au “Réseau Semences Paysannes” et à sa genèse, il ne s’agit pas d’une “légende urbaine” mais bien d’un témoignage, en provenance directe de Kokopelli :

En juillet 2002, la “Fédération Nature & Progrès” a signé avec la “Fondation pour une Terre Humaine” une convention aux termes de laquelle cette dernière s’engageait à financer, à hauteur de 15.000 €uros, la création et l’animation d’un “Réseau de paysans producteurs de semences et de plants de ferme”. La candidature de la Fédération Nature & Progrès désignait déjà la participation de l’association Kokopelli à ce “Réseau”, aux côtés de la “Fédération Nature et Progrès” elle-même, le “Mouvement de Culture Biodynamique”, “Soin de la Terre”, le syndicat de l’agriculture biodynamique, “Vini Vitis Pro”, “Germinance”, le “Fibl”, la “Coordination Nationale des Semences Fermières” et le “Syndicat des semences et plants biologiques du Languedoc-Roussillon”.

C’est ce “Réseau de paysans producteurs de semences et de plants de ferme” qui a été transformé, à l’issue d’un colloque organisé à Auzeville en 2003, en “Réseau Semences Paysannes”. Bien que le nom ait été légèrement modifié, le RSP ne saurait nier, entre les deux, une solution de continuité, ni sa qualité d’ancien membre fondateur à l’association Kokopelli.

Toujours est-il que, lors d’une réunion du “Réseau de paysans producteurs de semences et de plants de ferme”, pendant le salon Marjolaine de 2002, un grave désaccord entre M. Kastler et M. Jacquin, qui représentait alors l’association Kokopelli, a entraîné l’annonce par cette dernière de son retrait définitif du “Réseau”.

L’association Kokopelli a donc bien participé à la création du RSP et s’en est retirée, face, comme aujourd’hui, à une incompatibilité d’objectifs et de méthodes de fonctionnement.

Depuis lors, Kokopelli n’a pas “régulièrement accusé les membres du RSP d’être complices des mauvaises lois semencières parce qu’ils acceptaient de vendre des semences de variétés non inscrites au catalogue”, mais bien plutôt parce qu’ils acceptaient d’inscrire leurs variétés au Catalogue Officiel et qu’ils copinaient douteusement avec le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences), sous la férule duquel se trouve la biodiversité semencière française (en allant jusqu’à prendre la carte du GNIS), pour cela et pour bien d’autres choses encore.

Depuis quelques années, le RSP a découvert que les semences qui ne sont pas “destinées à une utilisation commerciale” ne sont pas soumises à la rigueur de la législation européenne sur le commerce des semences, et son porte-parole répète cela, comme une antienne, à qui veut bien l’entendre. Il va même jusqu’à reprocher à l’association Kokopelli de ne pas en faire de même, dans le cadre notamment des procédures judiciaires qui la concerne.

-> Ces griefs, qui touchent à la stratégie de défense juridictionnelle de l’association Kokopelli, personnellement visée par des poursuites, sont déplacés et grossiers. Les communiqués du RSP visant à critiquer nos démarches vis-à-vis de la Cour de Justice de l’Union Européenne, puis à tenter finalement d’en récupérer le bénéfice médiatique, le sont également.

Nous invitons le RSP, avant tout commentaire intempestif vis-à-vis de Kokopelli, à se pourvoir en justice pour faire valider ses interprétations juridiques. Jusque là, la bienséance la plus élémentaire commande de conserver, pour un observateur de 2e ligne tel que le RSP, un silence modeste.

Par ailleurs, cette argumentation ne fait que témoigner de la médiocrité des ambitions réglementaires du RSP : les semences qui ne sont pas “destinées à une utilisation commerciale” ne peuvent être vendues qu’à des jardiniers amateurs, à l’exclusion des agriculteurs. Or l’association Kokopelli a toujours inclus, dans sa vision, l’agriculture – seule véritablement à même d’entretenir et d’enrichir la biodiversité à une échelle significative. La “niche” du jardinage amateur, dont le RSP lui suggère de se contenter, est bien trop étroite pour la mission qu’elle s’est donnée. Il ne peut s’agir que d’un argument de repli, et il n’y a aucun lieu d’en être “ravi”, ainsi que l’écrit le RSP.

Mais quelles sont les motivations réelles du RSP ?

Voilà une question bien difficile à trancher, tant les revendications du RSP sont multiples et le discours emmêlé, voire contradictoire.

Qui est, tout d’abord, le RSP ?

Son Conseil d’Administration met régulièrement en avant les 75 organisations qui appartiendraient au Réseau. Fort bien. Nous notons toutefois que, parmi ces organisations, qui vont de la Confédération Paysanne au Musée des Maisons Comtoises, en passant par les Amis de la Terre et le Parc Naturel Régional du Queyras, les organisations qui produisent des semences ne sont pas plus de 10.

Il s’agit en fait principalement d’un méli-mélo d’organisations agricoles, bio ou pas bio, ayant des liens parfois très ténus avec la problématique semencière.

Ces organisations peuvent avoir une opinion sur la question, mais, concernant la législation sur le commerce des semences, nous estimons que le RSP n’a aucune leçon à nous donner. Et cela tout particulièrement parce que ses intérêts, très divers, sont parfois très éloignés de la préservation de la biodiversité et sa remise réelle au goût du jour.

En effet, le RSP s’emploie principalement à défendre les “droits des agriculteurs” à produire “leurs propres semences”, leurs “semences de ferme”, ou “semences paysannes” et à se les “échanger”. Que recouvrent ces jolies expressions aux accents bien intentionnés ? Pourquoi n’est-il jamais question de “variétés fermières” ou de “variétés paysannes” ?

Les “droits des agriculteurs” : reproduire des variétés protégées de l’industrie.

Les “droits des agriculteurs”, tels qu’ils sont définis, de manière très large, par l’article 9 du TIRPAA, sont mis systématiquement en avant par le RSP pour faire progresser la cause, déjà complètement perdue, de ce que la convention UPOV appelle “l’exception des agriculteurs” – c’est-à-dire le droit pour ceux-ci de reproduire, à la ferme, des semences élaborées par l’industrie semencière et protégées par des droits de propriété intellectuelle.

Ce que réclament donc les agriculteurs membres du RSP, c’est le droit d’user des semences protégées élaborées par Monsanto, Limagrain, Syngenta, etc. – car ils sont convaincus de leurs mérites – mais de continuer, lorsque cela est encore techniquement possible, à les reproduire, les multiplier, les échanger et même éventuellement les vendre, comme ils le faisaient traditionnellement avec leurs variétés d’antan. Ces semences là sont les fameuses “semences de ferme” ou “semences paysannes”, c’est-à-dire des copies, ni plus ni moins, des variétés de l’industrie.

Aucun scrupule pour la biodiversité

Quant aux variétés d’antan, reproductibles et libres de droits – les variétés paysannes qui n’apparaissent jamais dans le discours du RSP – et bien ils les ont tout bonnement abandonnées, au gré des contraintes posées pour l’inscription des variétés au Catalogue Officiel et de la propagande officielle concernant les mérites des variétés modernes de l’industrie. Ces paysans des temps modernes – soyons transparents – achètent leurs semences, hybrides F1 ou sous obtention, à l’industrie, en toute complicité avec le système et sans le moindre scrupule pour la biodiversité. Et cela est vrai sur 99,9% des exploitations agricoles françaises, qu’elles soient en bio ou en chimie. Ces “paysans” nous font manger du Monsanto ou du Syngenta à tous les repas.

Quant au discours sur la sauvegarde de la biodiversité grâce aux “semences de ferme”, qui mêle deux objectifs parfaitement incompatibles, c’est une pure façade marketing, qui maquille des pratiques peu avouables au grand public et un combat d’arrière garde, perdu il y a déjà des années. En effet, lorsque nos bons agriculteurs ont abandonné les semences héritées de leurs parents et de leurs grand-parents, en cédant aux sirènes du “progrès génétique” porté par la sélection variétale moderne, ils ont signé leur inféodation aux seigneurs-sélectionneurs. L’histoire, ensuite, a déroulé son flot de mesures légales et règlementaires permettant d’accompagner et de renforcer ce mouvement : la convention UPOV, en 1991, a posé l’obligation pour les agriculteurs de payer des royalties sur les “semences de ferme” obtenues à partir de variétés protégées ; l’Union Européenne a repris cette obligation dans un Règlement de 1994 ; la France a fait de même avec la loi du 8 décembre 2011 sur le Certificat d’Obtention Végétale et elle s’apprête à compléter, très logiquement, ce régime juridique, qui qualifie la “semence de ferme” de “contrefaçon”, par la création d’un arsenal de mesures administratives et douanières pour lutter contre cette forme de “piraterie” de l’industrie semencière.

Cette mise sous dépendance du monde agricole, avec le consentement béat de ce dernier, a démarré dans les années 50 et ce qui se produit aujourd’hui n’en est que la suite logique et naturelle. Ceux qui croient à un “retour en arrière”, mais qui continuent à se délecter des semences de l’industrie, se mettent un doigt dans l’œil. Et constater aujourd’hui que certains d’entre eux, membres et porte-paroles du RSP, sont prêts à faire une “grève de la faim” de 15 jours pour avoir le droit de faire des “semences de ferme” avec les variétés protégées de l’industrie est proprement pathétique. La fin d’un monde…

Et pourquoi le RSP tient-il tant à pouvoir échanger ces “semences paysannes” ? Parce qu’avec l’échange, c’est la traçabilité qui se perd, et donc la possibilité pour le propriétaire de la variété de réclamer ses royalties.

Les variétés paysannes du domaine public : l’autonomie et la liberté

Sur le terrain des droits de propriété intellectuelle, pas de méprise : l’association Kokopelli est bien loin de considérer ces royalties et autres qualifications légales infamantes comme légitimes. Elle s’est déjà exprimée sur le sujet : l’industrie semencière prétend rémunérer ses efforts de recherche en prélevant une dime sur la semence de ferme, mais elle vend ses semences à prix d’or et rémunère ainsi déjà grassement son travail de sélection. Ses chiffres d’affaires et bénéfices, en progression constante, ne mentent pas sur ce point. Ainsi, derrière son discours d’innovation trompeur, c’est en fait la volonté de s’installer dans une confortable situation de rente, souvent strictement non innovante, que Kokopelli dénonce.

En revanche, face aux agriculteurs, Kokopelli porte un tout autre message. Nous invitons ceux-ci à revenir à leurs variétés paysannes, à celles qu’ils n’auraient jamais dû abandonner, aux semences de l’autonomie et de la liberté. Nous savons que certains, au sein du RSP, sont sur cette voie. Ils sont la façade la plus vertueuse et la plus innovante du RSP. Ils lui donnent sa caution morale. Sans eux, le RSP ne serait rien de plus que la Confédération Paysanne ou CNDSF (Coordination Nationale de Défense des Semences Fermières), avec laquelle le RSP mène d’ailleurs des campagnes communes, avec un discours qui met très hypocritement la biodiversité à l’honneur.

Ces paysans qui reprennent leur liberté, nous les félicitons, les encourageons à poursuivre leur travail et mettons toute notre collection de variétés reproductibles et libres de droits à leur disposition.

Nous invitons tous les agriculteurs à se réapproprier ce qu’ils ont perdu, à se rassembler, à faire sortir les collections des congélateurs de l’INRA et autres banques de gènes, à retrouver, partout, ce qui est encore disponible, inscrit ou non au Catalogue Officiel, et à reprendre le travail de sélection et d’amélioration des plantes qu’ils n’auraient jamais dû abandonner à l’industrie.

C’est pour cela, pour la liberté et l’autonomie, que nous distribuons des semences, bien réelles, dans toute l’Europe et sur toute la planète.

Le commerce des semences

De tous ces conflits d’intérêts au sein du RSP, il résulte un positionnement très ambigu sur la législation relative au commerce des semences. Les “paysans” qui composent l’organisation – lesquels utilisent très majoritairement, comme nous le disions, des variétés modernes, hybrides F1 ou sous obtention – sont convaincus de l’utilité et du bien-fondé de cette législation, ses autorisations préalables de mise sur le marché, le Catalogue Officiel, les exigences d’homogénéité et de stabilité, les contrôles de certification, etc. Ils avouent ouvertement que « nous ne pouvons plus nous permettre de (…) renoncer à réguler le commerce des semences » et justifient tout cela avec les mêmes arguments exactement que l’interprofession semencière (le GNIS) : « nous voulons conserver un contrôle public du commerce, proportionné à la taille des opérateurs, adapté à chaque type de semences, notamment les semences biologiques, et destiné à protéger les agriculteurs et les jardiniers qui achètent des semences commerciales et les artisans semenciers qui en commercialisent contre les fraudes et les pratiques commerciales déloyales. C’est pourquoi nous proposons de modifier ce règlement, mais en aucun cas de supprimer tout contrôle du commerce des semences, qu’elles soient du domaine public ou non. »

En attendant, toutes les variétés paysannes de nos ancêtres, reproductibles et libres de droits, sont interdites à la vente en Europe…

Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que le RSP ne milite que pour une “législation plus juste”, laquelle d’ailleurs, depuis qu’il dit négocier avec les institutions, n’a pas évolué d’un centimètre.

Et nous ne serons pas étonnés non plus de constater que certains des membres du RSP ont leur carte au GNIS et inscrivent leurs variétés au Catalogue Officiel.

Pourquoi donc critiquer le processus de réforme de la législation européenne qui est en cours et se mobiliser pour amender les propositions de la Commission ?

Parce que toutes les occasions sont bonnes, pour le RSP et ses membres, pour tenter de remettre en débat leurs fameux “droits des agriculteurs”, même si ce n’est absolument pas le sujet.

Et vous voyez donc ré-apparaître, partout dans les campagnes les plus récentes du RSP ou de la Via Campesina, le thème des droits de propriété intellectuelle dans un méli-mélo de revendications trompeuses sur la biodiversité.

Que personne ne s’y trompe, donc : le RSP représente les derniers soubresauts d’un monde paysan qui s’effondre, inféodé à l’industrie semencière mais désespéré par les conséquences inéluctables de cette inféodation.

Deux solutions se présentent à ces paysans sur le déclin : rentrer dans les rangs et se réjouir du “partenariat” négocié entre le monde agricole et le secteur de la sélection variétale, comme la COPA-COGECA aujourd’hui en Europe ; ou retrouver la liberté et l’autonomie perdues – mais alors un revirement important des pratiques et des discours devra être amorcé, y compris chez le RSP, qui ne peut continuer à prétendre sortir d’un système dans lequel la plupart de ses membres sont enfoncés jusqu’au cou.

Kokopelli, le 23 janvier 2014.


1) Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation, adopté en novembre 2001 par la Conférence de la FAO

2) Union pour la Protection des Obtention Végétale – Article 15 – 2) de la Convention, dans sa version de 1991