Note Juridique

NOTE RELATIVE AU STATUT JURIDIQUE DU BASILIC TULSI D’ETHIOPIE 

Le Basilic Tulsi d’Éthiopie ou “Tulsi tempérée” est une plante de la famille des Lamiaceae, dont le chémotype majeur est le bisabolène. Cette plante se distingue du basilic tulsi indien, Ocimum tenuiflorum, et ne dispose actuellement d’aucun nom botanique. L’association Kokopelli propose de la nommer Ocimum bisabolenum – en raison de son chémotype majeur le bisabolène.

Dans le cadre de sa campagne sur les plantes médicinales, l’Association Kokopelli souhaite mettre en lumière les vertus du Basilic Tulsi d’Éthiopie. En effet, cette plante possède principalement des propriétés antibactériennes, anti-inflammatoires et cytotoxiques. Dans ce cadre, elle s’interroge sur la qualification de médicament ou d’aliment de cette plante.

I. Sur la qualification de médicament ou de plante médicinale

Il est important de déterminer dans quelle mesure le Basilic Tulsi d’Éthiopie serait qualifié de médicament (1) ou de plante médicinale (2) puisque seuls les pharmaciens sont habilités à vendre de tels produits. En effet, selon l’article L. 4211-1 du code de la santé publique, la vente en gros ou au détail et toute dispensation au public de médicaments ainsi que la vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée sont réservées aux pharmaciens sous réserve des dérogations établies par décret. Aussi, la personne qui vendrait de tels produits sans avoir la qualité de pharmacien pourrait être réprimée pénalement pour exercice illégal de la profession de pharmacien.

1. Sur la qualification de médicament

Le premier paragraphe de l’article L. 5111-1 du Code de la santé publique donne deux définitions de la notion de médicament : une définition du médicament « par présentation » et une définition du médicament « par fonction ».

La définition est la suivante : « On entend par médicament à usage humain toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. »

a) La notion de substance

Il résulte de la définition de l’article L. 5111-1 du Code de la santé publique, mais également de celle de l’article 1 de la Directive 2001/83 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, qu’un médicament est une substance ou une composition.

Il convient donc de déterminer si une plante, ou des parties de plante, sont considérées comme une substance ou une composition dans le cadre de la législation sur les médicaments.

La qualification de composition sera écartée, ce terme évoquant un mélange, une combinaison de substances, assimilables à une ‘préparation’, dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

S’agissant de la notion de substance, celle-ci n’est pas définie dans le droit français. On retrouve toutefois une définition dans l’article 1 de la Directive 2001/83. La substance est entendue très largement puisqu’elle englobe « toute matière quelle qu’en soit l’origine ». La directive précise que cette matière peut être « végétale, telle que: (…) plantes, parties de plantes ».

Ainsi, une plante brute, ou des parties de celle-ci, constitue une substance, susceptible de recevoir la qualification de médicament. Les semences destinées à être plantées, en revanche, n’ont jamais reçu la qualification de substance.

b) Les médicaments par présentation

De plus, est un « médicament par présentation » toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales.

La qualification du médicament par présentation fait ainsi appel à des critères subjectifs, tels que la perception qu’un consommateur peut avoir du produit (cf. CJCE, 21 mars 1991, C-60- 89).

Pour déterminer si une substance est un médicament « par présentation », le juge apprécie s’il existe des indications de dosage, de posologie ou de méthodes thérapeutiques, ou encore des allégations de propriétés thérapeutiques (Cass. Crim., 4 octobre 1995, n°94-84.322). Le seul fait que la plante soit décrite comme ayant des propriétés préventives ou curatives suffit à considérer qu’il s’agit d’un médicament, même si elle est généralement considérée comme un produit alimentaire (CJCE, 28 octobre 1992, C-219/91). Il n’est ainsi pas nécessaire de rechercher si le produit possède effectivement les propriétés curatives ou préventives mises en avant.

Ainsi, à condition de ne pas mettre en avant, s’agissant de la plante, ses propriétés préventives ou curatives, le Basilic Tulsi d’Éthiopie n’aura pas la qualité de médicament par présentation.

En l’espèce, il est indiqué sur le site de l’association Kokopelli, que :

« le Tulsi a été utilisé, depuis des milliers d’années, dans le traitement de la bronchite, de la diarrhée, de la dysenterie, de l’arthrite, de la malaria, des piqûres d’insectes, des problèmes oculaires, des problèmes dermatologiques, des refroidissements, des maux de têtes, des inflammations, des problèmes gastriques, des empoisonnements, etc. Tulsi possède également des propriétés pour traiter le cancer, la stérilité, le diabète, les infections microbiennes, bactériennes et fongiques, les problèmes cardiaques. C’est aussi un analgésique, un anti-spasmodique et un antipyrétique. En bref, c’est un adaptogène, un anti-oxydant, un “élixir de vie”, réputé prolonger la vie. Ses graines sont parfois portées sur le corps en tant que charme de protection: Tulsi est réputé purifier l’aura. »

Par une telle formulation, l’association Kokopelli met en avant les propriétés thérapeutiques du Basilic Tulsi d’Éthiopie. Même s’il n’est pas précisé de mode d’utilisation ou de posologie, il est mentionné clairement que cette plante aide au traitement de pathologies déterminées.

Dès lors, il pourrait être reproché à l’association Kokopelli, si elle décidait de vendre la plante ou des parties de la plante – en dehors des semences destinées à être plantées -, de commercialiser un produit ayant qualité de médicament par présentation, alors que cette plante n’a pas obtenu d’autorisation de mise sur le marché, et que l’association n’a pas la qualité de pharmacien.

c) Les médicaments par fonction

Est un « médicament par fonction » toute substance ou composition pouvant être utilisée ou administrée chez l’homme ou chez l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique.

Le critère de l’aptitude à restaurer, à corriger ou à modifier des fonctions physiologiques ne doit toutefois pas conduire à qualifier de médicament par fonction des produits qui, tout en ayant une influence sur le corps humain, n’ont pas d’effet physiologique significatif et ne modifient, dès lors, pas à proprement parler les conditions de son fonctionnement (CJCE, Arrêt du 5 mars 2009, Commission / Espagne (C-88/07, point 72-26).

De façon générale, pour décider si un produit doit être qualifié de médicament par fonction, il convient de procéder au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des caractéristiques de chaque  produit,  notamment  sa  composition,  ses  propriétés  pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, établies en l’état actuel de la connaissance scientifique, ses modalités d’emploi, l’ampleur de sa diffusion, la connaissance qu’en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation sur la santé (Cass, 19 mai 2009, n°08-83.747).

Aussi, pour déterminer si une substance est un médicament « par fonction », le juge doit adopter une approche scientifique, en exigeant que soit démontrée la réalité de ses propriétés pharmacologiques ( CJUE, 15 novembre 2007, n°C-319/05, Commission c/ République fédérale d’Allemagne, point n°61). En outre, la Cour de Justice considère que la modification des fonctions physiologiques, engendrées par les produits en question, doit nécessairement procurer des « effets bénéfiques, immédiats ou médiats, sur la santé humaine » (CJUE, 10 juil. 2014, C-358/13 et C-181/14, Markus D. et G.).

Dans cette dernière affaire, la CJUE a considéré que les produits constitués d’herbes aromatiques et de cannabinoïdes de synthèse commercialisés exclusivement à des fins récréatives ne pouvaient être qualifiés de médicaments par fonction, en dépit de leurs vertus psychiques. Le qualificatif de médicament ne peut leur être attribué dès lors qu’ils ne sont pas commercialisés à des fins thérapeutiques pour prévenir ou guérir une pathologie.

S’agissant de l’existence d’effets bénéfiques, il a été jugé qu’en « l’absence de toute utilisation, même potentielle, du produit concerné pour le traitement d’une pathologie reconnue, la condition relative à l’existence d’effets bénéfiques sur la santé ne sera pas satisfaite » (CJUE, M2Beauté Cosmetics GmbH c/ Bundesrepublik Deutschland, op. cit., points n° 49 et 50).

Seuls peuvent constituer des médicaments par fonction les produits contenant des substances ayant des propriétés pharmacologiques démontrées et qui sont exclusivement destinées à un usage thérapeutique (cf. également en ce sens Cass. Crim., 1er avril 2003, n°02-86.292).

Ainsi, pour être qualifié de médicament par fonction, le produit doit avoir des propriétés médicales bénéfiques scientifiquement démontrées, et doit être commercialisé pour un usage thérapeutique.

En l’espèce, le Basilic Tulsi d’Éthiopie ne saurait être considéré comme médicament par fonction.

S’agissant de l’existence de propriétés pharmacologiques scientifiquement démontrées, cette condition semble difficilement remplie, dès lors qu’il n’existe pas de littérature scientifique sur cette plante. Aussi, cette plante n’a-t-elle même pas de nom botanique propre.

De plus, cette plante n’est pas commercialisée pour le traitement d’une pathologie connue, ni utilisée exclusivement dans un but thérapeutique.

En effet, cette plante est principalement utilisée comme plante aromatique dans des préparations culinaires ou des infusions. Selon Kokopelli, elle offre « un parfum et une saveur épicée de vanille, de tutti frutti ou de myrrhe ».

Dès lors, le Basilic Tulsi d’Éthiopie ne constitue pas un médicament par fonction.

2. Sur la qualification de plante médicinale

S’agissant de l’inscription du Basilic Tulsi d’Éthiopie en tant que plante médicinale, il faut relever que seul le basilic doux (Ocimum basilicum L.) est inscrit à la pharmacopée française [1]. L’article D. 4211-1 du code de la santé publique autorise expressément des personnes autres que les pharmaciens à vendre cette plante en l’état ou en poudre.

L’Ocimum tenuiflorum, pas plus que l’Ocimum bisabolenum, ne sont recensés par la pharmacopée française.

Ces deux plantes ne sont donc pas considérées comme des plantes médicinales et peuvent être commercialisées par des personnes autres que les pharmaciens et les herboristes.

Ainsi, même si un usage traditionnel lui confère des propriétés thérapeutiques, sa vente ne relève pas du monopole officinal.

3.  Sur la qualification de denrée alimentaire et le régime des allégations de santé

a) Qualification

Est considérée comme denrée alimentaire une « substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain » [2] (Article 2 du Règlement (CE) no 178/2002).

Ainsi, une plante sera considérée comme denrée alimentaire, dès lors qu’elle est destinée à être ingérée par l’être humain. Les denrées alimentaires ne couvrent cependant pas « les plantes avant leur récolte ». Ainsi, dès lors que les feuilles de basilic seront récoltées, elles entreront dans la qualification de denrées alimentaires.

Ainsi, le Basilic Tulsi d’Éthiopie constitue une denrée alimentaire, dès lors que les feuilles et la tige peuvent être consommées directement ou ingérées par infusion.

Il faut toutefois préciser qu’en application de l’article 2 du Règlement (CE) no 178/2002, les médicaments ne sauraient être qualifiés de denrées alimentaires. Ainsi le régime applicable aux médicaments exclut l’application du régime sur les denrées alimentaires.

Bien qu’une autorisation préalable de mise sur le marché ne soit pas exigée, la vente de denrées alimentaires conduit à devoir appliquer un certain nombre d’obligations pour l’opérateur, notamment s’agissant de l’information des consommateurs et des allégations de santé.

b) Régime des allégations de santé

Il convient tout d’abord de souligner que les allégations de santé sur les denrées alimentaires sont fortement encadrées. En effet, d’après l’article 7.3 du Règlement n°1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires « (…), les informations sur les denrées alimentaires n’attribuent pas à celles-ci des propriétés de prévention, de traitement ou de guérison d’une maladie humaine, ni n’évoquent de telles propriétés. »

Aussi, la possibilité de mettre en avant des allégations de santé sur les denrées alimentaires est encadrée au niveau européen par le Règlement n°1924/2006 .

Est considérée comme une allégation de santé tout message ou toute représentation non obligatoire en vertu de la législation applicable qui tend à affirmer, suggérer ou impliquer l’existence d’un lien entre une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et la santé. Le règlement établit plusieurs listes d’allégations, dont les allégations de santé relatives à un risque de maladie, qui relèvent de l’article 14.1a. Constituent des allégations de santé relatives à un risque de maladie, tout message établissant un lien entre la denrée alimentaire et un risque de maladie.

Par exemple, est une allégation de santé relative à un risque de maladie, la formulation suivante : « Il a été démontré que les esters de stanols végétaux abaissaient/réduisaient le taux de cholestérol sanguin. Une cholestérolémie élevée constitue un facteur de risque de développement d’une maladie cardiaque coronarienne » [3].

Il existe également des allégations de santé dites ‘fonctionnelles’ (article 13), qui décrivent ou mentionnent le rôle d’une substance dans la croissance, le développement et les fonctions de l’organisme, ou les fonctions psychologiques ou comportementales.

Les allégations font l’objet d’une évaluation scientifique centralisée au niveau de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) puis d’une décision d’autorisation ou de refus qui se concrétise par la publication d’un règlement. Seules les allégations autorisées par le biais de cette procédure peuvent être utilisées. Les allégations de santé qui ne figureraient pas dans les listes positives d’allégations de santé doivent suivre une procédure d’autorisation prévue par le règlement (CE) n°1924/2006 en fonction du type d’allégation concernée.

Par ailleurs, l’article 10.3 du Règlement n°1924/2006 ajoute qu’il ne peut être fait référence aux effets bénéfiques généraux, non spécifiques, d’un nutriment ou d’une denrée alimentaire sur l’état de santé général et le bien-être lié à la santé que si une telle référence est accompagnée d’une allégation de santé spécifique figurant sur les listes visées à l’article 13 ou 14. Des allégations générales sur le bien-être ne sont donc autorisées que si les allégations précises de santé sont elles elles-même autorisées.

Un opérateur qui affirmerait ainsi faussement qu’un produit est de nature à guérir des maladies ou des dysfonctionnements de santé serait réputé s’adonner à une pratique commerciale trompeuse et serait ainsi susceptible d’être poursuivi pénalement sur ce fondement (L. 121-4, 16° du code de la consommation).

En l’espèce, les informations fournies par Kokopelli s’agissant du Basilic Tulsi d’Ethiopie correspondent assurément à des allégations de santé dès lors qu’elles mettent directement en relation la consommation de cette plante et le traitement d’un grand nombre de maladies : diarrhée, dysenterie, arthrite, malaria, cancer, diabète etc…

Or, ni le Basilic Tulsi d’Éthiopie, ni aucun de ses nutriments ou substances, en particulier le bisabolène, n’apparait dans la liste des allégations de santé autorisées faisant référence à la réduction d’un risque de maladie (article 14.1.a) [4] , ou dans la liste des allégations de santé génériques (article 13).

Il faut souligner que s’agissant des allégations de santé génériques (article 13.1) une liste de 4637 allégations de santé génériques a été transmise par les Etats-membres pour faire l’objet d’une évaluation scientifique par l’Autorité européenne de sécurité des Aliments (AESA/EFSA). Seule une petite poignée d’allégations (229 allégations de santé génériques), portant essentiellement sur des vitamines ou minéraux, a reçu un avis favorable par le groupe d’experts de l’AESA/EFSA.

La DGCCRF indique que :

« toutes les allégations de santé concernant les microorganismes (par exemple : « Lactobacillus casei aide à maintenir la santé digestive ») ont été rejetées et la plupart des allégations de santé portant sur les propriétés antioxydantes de substances ou de denrées alimentaires a également été rejetée.

Parmi cette liste, plus de 2000 allégations de santé qui concernent pour la plupart des plantes et des substances botaniques ont été « mises en attente » par la Commission européenne. Celle-ci a décidé de mettre en suspens la procédure d’autorisation communautaire de ces allégations le temps de déterminer si la méthode d’évaluation scientifique de l’AESA habituellement employée doit être appliquée aux allégations de santé relatives aux plantes. Il est également question de savoir si la tradition peut être prise en compte dans l’évaluation scientifique de l’AESA pour justifier les effets sur la santé de certaines plantes.

Les conclusions de l’évaluation du règlement (CE) n°1924/2006 portant sur les profils et les allégations sur les plantes ont été rendues en mai 2020. Ces résultats alimenteront la réflexion de la Commission sur cette réglementation. » [5]

Ainsi, à ce jour, il n’existe que peu d’allégations de santé génériques concernant les plantes qui ont été autorisées. Un grand nombre sont en revanche en attente.

Aussi, s’agissant de l’espèce Ocinimum basilicum, il faut souligner qu’actuellement est ‘en attente’ la possibilité de mettre en avant ses fonctions sur la digestion, l’élimination rénale, et la vidange de l’organisme, par les formulations suivantes : « utilisé pour faciliter la digestion », « contribue au confort digestif », « contribue à soutenir la digestion , « utilisé pour améliorer l’élimination rénale de l’eau », « utilisé pour faciliter les fonctions d’élimination de l’organisme », « utilisé pour le drainage de l’organisme », « stimule la fonction d’élimination de l’organisme », « contribue au fonctionnement des voies urinaires » [6]. Il s’agirait donc d’une allégation de santé générique relevant de l’article 13, si elle était autorisée.

En revanche, il n’existe pas d’allégation de santé générique, ou relative à un risque de maladie, autorisée ou en attente, s’agissant de l’espèce ‘Ocimum tenuiflorum’, ou a fortiori s’agissant d’Ocimum bisabolenum’.

Ainsi, la présentation de telles propriétés sur des denrées alimentaires irait à l’encontre du règlement (CE) n°1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires.

c) Sur la qualification de nouvelle denrée alimentaire

La qualification de ‘nouvelle denrée alimentaire’ (‘novel food’ en anglais) est importante car, par principe, les nouvelles denrées alimentaires sont soumises à une procédure préalable d’autorisation de mise sur le marché [7]. Toutefois, pour les ‘aliments traditionnels en provenance d’un pays tiers’, une procédure simplifiée de notification est prévue (cf. article 14 à 20 du Règlement n°2015/2283).

D’après l’article 2 du Règlement européen n°2015/2283, sont considérées comme des nouvelles denrées alimentaires « toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l’Union avant le 15 mai 1997, indépendamment de la date d’adhésion à l’Union des États membres, et qui relève au moins d’une des dix catégories » listées à l’article 3 du règlement. S’agissant des plantes, c’est la catégorie iv) qui est la plus pertinente :

« Les denrées alimentaires qui se composent de végétaux ou de parties de végétaux, (…), excepté lorsque les denrées ont un historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l’Union, et qu’elles se composent d’une plante ou d’une variété de la même espèce (…) obtenue par :

      • des pratiques de multiplication traditionnelles utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, ou
      • des pratiques de multiplication non traditionnelles qui n’étaient pas utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, lorsque ces pratiques n’entrainent pas de modifications significatives de la composition ou de la structure de la denrée alimentaire affectant sa valeur nutritionnelle, son métabolisme ou sa teneur en substances indésirables ; »

L’« aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers » est entendu comme ‘tout nouvel aliment’ tel que précédemment défini, qui peut inclure des végétaux, et « qui est issu de la ‘production primaire’ avec un ‘historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire dans un pays tiers’. »

Au vu de ces éléments, il convient de déterminer :

    1. Si le Basilic Tulsi d’Ethiopie doit être considéré comme une nouvelle denrée alimentaire. Si tel est le cas, deux situations doivent être distinguées :
    2. Ce végétal peut-il bénéficier de l’exemption prévue à l’article 3 iv) ?
    3. Cette denrée peut-elle être qualifiée d’aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers soumise à une procédure de notification ?
i- Sur la qualification de nouvelle denrée alimentaire

Comme déjà évoqué, est une nouvelle denrée alimentaire :

    • « toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l’Union avant le 15 mai 1997,
    • et qui relève au moins d’une des dix catégories » précitées ; s’agissant des plantes, de la catégorie iv): « se composent de végétaux ou de parties de végétaux »

En l’espèce, le Basilic Tulsi d’Éthiopie est un végétal, qui peut être consommé en partie. De plus, il s’agit d’une denrée alimentaire dont la consommation humaine nous parait avoir été négligeable dans l’Union avant le 15 mai 1997. Il ne s’agit pas d’une espèce présente sur le territoire de l’Union, et encore aujourd’hui il est très rare d’en trouver dans le commerce. A l’analyse, il n’y a que Kokopelli qui en propose sur le marché en ligne.

Le Basilic Tulsi d’Éthiopie, sous la forme de plante à consommer, constitue donc un nouvel aliment.

La mise sur le marché de cet aliment doit ainsi être précédée d’une autorisation, sauf exemption ou exception.

ii- L’exemption d’un historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire au sein de l’Union

Pour rappel, l’article 3 du Règlement prévoit que ne sont pas de nouveaux aliments, les végétaux :

    • Qui ont un historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l’Union,
    • et qui se composent d’une plante ou d’une variété de la même espèce (…) obtenue par:
      • des pratiques de multiplication traditionnelles utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, ou
      • des pratiques de multiplication non traditionnelles qui n’étaient pas utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, lorsque ces pratiques n’entraînent pas de modifications significatives de la composition ou de la structure de la denrée alimentaire affectant sa valeur nutritionnelle, son métabolisme ou sa teneur en substances indésirables.

Il faut souligner qu’au contraire de l’historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires « dans un pays tiers », l’historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires « au sein de l’Union européenne » n’est pas défini. Aussi, il n’est pas nécessaire d’établir que cet aliment a été utilisé habituellement par une portion significative de la population de l’Union.

En l’espèce, nous ne disposons pas de données suffisantes sur l’historique d’utilisation du Basilic Tulsi d’Éthiopie dans l’Union européenne, et ne pouvons donc pas déterminer si cet historique est sûr. Nous n’avons pas plus d’informations à notre disposition sur la pratique de multiplication utilisée.

Si cette exemption nous parait pouvoir être mise en œuvre, il conviendrait toutefois de bénéficier d’une documentation sur le sujet afin de pouvoir l’affirmer.

A ce stade, il faut souligner que s’agissant du basilic tulsi classique, de l’espèce ‘Ocimum tenuiflorum’, ses graines sont listées en tant que nouvel aliment dans le Règlement d’exécution 2017/2470 du 20 décembre 2017 établissant la liste des nouveaux aliments de l’Union. Il apparait également dans le catalogue information des novels foods [8] . Ainsi les graines du basilic tulsi classique sont considérées comme un nouvel aliment, et il existe une autorisation pour leur vente.

Pour le futur, il peut être raisonnablement avancé que le Basilic Tulsi d’Éthiopie suivra le même régime que son cousin, le basilic ‘Ocimum tenuiflorum’. Toutefois, dès lors que les graines ne sont pas commercialisées en tant qu’aliments, mais en tant que semences, leur mise sur le marché n’est pas affectée par le régime des ‘nouveaux aliments’. Cette variété, pas plus que l‘Ocimum tenuiflorum’, n’étant pas réglementée au titre de la législation sur le commerce des semences, leur vente est libre.

iii- Sur la qualification d’aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers

Enfin, il convient de déterminer si le Basilic Tulsi d’Éthiopie peut être qualifié d’aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers dès lors que ces denrées sont soumises à une simple procédure de notification et non d’autorisation.

Pour rappel, est un aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers :

    • Un ‘nouvel aliment’
    • qui est issu de la ‘production primaire’
    • avec un ‘historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire dans un pays tiers’.

La production primaire concerne « la production, l’élevage ou la culture de produits primaires, y compris la récolte, la traite et la production d’animaux d’élevage avant l’abattage. Elle couvre également la chasse, la pêche et la cueillette de produits sauvages » [9] .

L’article 3 du règlement définit également « l’historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire dans un pays tiers » par « le fait que la sécurité de la denrée alimentaire en question a été confirmée par les données relatives à sa composition et par l’expérience que l’on peut tirer de son utilisation continue pendant au moins vingt-cinq ans dans le régime alimentaire habituel d’un nombre significatif de personnes dans au moins un pays tiers ».

En l’espèce, en premier lieu, comme évoqué, le Basilic Tulsi d’Éthiopie est un nouvel aliment (cf. i).

En second lieu, le Basilic Tulsi d’Éthiopie est effectivement issu de la production primaire, puisque celle-ci couvre tant la culture de végétaux, que la cueillette sauvage de ceux-ci.

Enfin, s’agissant d’un historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire dans un pays tiers, nous ne disposons pas, ici encore, d’informations suffisantes, en particulier sur le caractère habituel de la consommation de cette plante en Éthiopie, et ce depuis au moins 25 ans, pour un nombre significatif de personnes.

S’agissant de sa composition, notons que l’innocuité du beta-bisabolène est attestée par le fait que cette substance est inscrite sur la liste des substances aromatisantes dont l’utilisation est autorisée dans l’Union (cf. partie 4).

Ainsi, si l’historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire en Éthiopie était prouvée, le Basilic Tulsi d’Éthiopie pourrait être qualifié d’aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers, soumis à une simple procédure de notification.

Relevons enfin que le Basilic Tulsi d’Éthiopie n’est pas susceptible d’être qualifié de denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales, régie par le Règlement UE n°609/2013 du du 12 juin 2013. En effet, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales sont caractérisées par leur fonction nutritionnelle dans un contexte médicale. Leur fonction est d’assurer la nutrition de patients aux fonctions diminuées, limitées, ou bien qui doivent faire face à des besoins nutritionnels impossibles à satisfaire par une simple modification du régime alimentaire normal. Pour pouvoir être qualifié de denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales, il ne suffit donc pas qu’un produit ait des effets positifs en procurant un bénéfice général au patient et qu’il contribue à prévenir, à atténuer ou à guérir la maladie, le trouble ou l’état de santé de celui-ci. (cf. CJUE, Orthomol pharmazeutische Vertriebs GmbH c/ Verband Sozialer Wettbewerb eV C-418/21,).

4. Sur la qualification de substance aromatisante

Le Règlement n°1334/2008 relatif aux arômes et à certains ingrédients alimentaires possédant des propriétés aromatisantes établit une liste communautaire des arômes et des matériaux de base dont l’utilisation dans les denrées alimentaires est autorisées. Cette liste figure à l’annexe I du Règlement.

La notion de « substance aromatisante » au sens du Règlement n°1334/2008 est entendue plus strictement que dans la Directive 2001/83 puisqu’elle est définie comme « une substance chimique définie possédant des propriétés aromatisantes ». Relevons que la définition de « substance aromatisante naturelle » ne trouve pas non plus à s’appliquer, celle-ci se référant au processus de fabrication. Il s’agit en effet d’ « une substance aromatisante obtenue par des procédés physiques, enzymatiques ou microbiologiques appropriés, à partir de matières d’origine végétale, animale ou microbiologique prises en l’état ou après leur transformation pour la consommation humaine par un ou plusieurs des procédés traditionnels de préparation des denrées alimentaires dont la liste figure à l’annexe II. Les substances aromatisantes naturelles correspondent aux substances qui sont naturellement présentes et ont été identifiées dans la nature ».

Ainsi des plantes brutes n’étant pas une substance chimique, elles ne sont pas des substances aromatisantes.

En conséquence, l’espèce ‘Ocimum tenuiflorum’, ni a fortiori l’espèce Ocimum bisabolenum, ne figurent sur la liste communautaire des substances aromatisantes.

En revanche, le beta-bisabolène est répertorié dans le tableau n°1 de l’annexe I du Règlement n°1334/2008 :

Ainsi le beta-bisabolène est une substance aromatisante dont l’utilisation dans les denrées alimentaires est autorisée. En outre, il convient de préciser qu’il n’existe aucune spécification applicable sur sa pureté (colonne 6), ou encore de restrictions d’utilisation (colonne 7).

En conclusion, la mise en avant des propriétés curatives ou préventives du Basilic Tulsi d’Éthiopie, commercialisé en tant que plante comestible, – et non en tant que semence destinée à être plantée – comporte un double risque. D’une part, cela pourrait conduire à qualifier ce produit de médicament par présentation, auquel cas sa vente serait uniquement possible pour les professions autorisées. D’autre part, indiquer des allégations thérapeutiques qui n’ont pas été autorisées, est susceptible d’être réprimé par l’infraction de pratique commerciale trompeuse. Il est cependant possible de formuler ces allégations de manière générale, et d’inviter les consommateurs à consulter tel ou tel site internet permettant d’aller plus loin dans la recherche d’informations.

 

 

[1] https://ansm.sante.fr/documents/reference/pharmacopee/la-pharmacopee-francaise

[2] Article 2 du Règlement (CE) no 178/2002

[3] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Consommation/Etiquetage-des-produits/Allegations-nutrionnelles-etde-sante

[4] Tableaux récapitulatifs des allégations de santé autorisées, mis à disposition par la DGCCRF (à jour avril 2023) https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Consommation/Etiquetage-des-produits/Allegations-nutrionnelles-et-desante

[5] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Consommation/Etiquetage-des-produits/Allegations-nutrionnelles-etde-sante

[6] Onglet n°2 des tableaux récapitulatifs des allégations de santé autorisées, mis à disposition par la DGCCRF (à jour avril 2023) https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Consommation/Etiquetage-des-produits/Allegationsnutrionnelles-et-de-sante

[7] Article 3 du Règlement (UE) 2015/2283

[8] https://ec.europa.eu/food/food-feed-portal/screen/novel-food-catalogue/search

[9] article 3, point 17, du Règlement (CE) no 178/2002