Chapitre 8 de l’ouvrage de Stephen Harrod Buhner : Plant Intelligence and the Imaginal realm.
Traduction et publication par Xochi autorisées par l’auteur.
Il existe une pléthore de dénominations pour les nombreux composés hallucinogènes, que le système Gaïen génère, et elles convient un très ample spectre de significations.
Car les peuples ont tenté de décrire
les effets des hallucinogènes
depuis très longtemps.
C’est ainsi qu’ils ont été dénommés hallucinogènes (générant des hallucinations), des psychédéliques (qui révèlent la psyché), des psychotropes (qui possèdent une affinité ou un tropisme pour la psyché), des enthéogènes (qui génèrent la divinité à l’intérieur), des psychomimétiques (qui simulent la psychose), des psycholytiques (qui relâchent ou dissolvent la psyché), des entactogènes (qui génèrent le toucher, à savoir qui stimulent la sensitivité eu égard au toucher du monde sur nous-mêmes), des empathogènes (qui suscitent l’empathie), des psychointégrateurs (des substances qui harmonisent les interactions entre les différentes fonctions de la psyché), des neurophénoménologiques (des substances qui affectent le système neuronal et, par conséquent, la nature de la conscience et de l’expérience), des neurognostiques (de neuro, système neuronal, et gnosis, connaissance des fondements métaphysiques du monde; à savoir des substances qui affectent le système neuronal et, par conséquent, génèrent une compréhension plus profonde des fondements métaphysiques du monde et de leurs relations avec le soi).
Le débat prévaut quant à la manière dont ils devraient être dénommés
une illustration de combien ces substances sont, souvent, au-delà des mots
tout comme prévaut le mental linéaire qui donne naissance au langage humain
Les modulateurs neuronaux créés par le système Terre – à savoir des substances chimiques psychoactives – ont existé depuis des millions et des millions d’années ; ils précèdent, de très loin, l’émergence de l’espèce humaine. Ils ont été élaborés, pour leur majorité, à partir d’innovations de la molécule de sérotonine et il n’est pas surprenant qu’ils affectent intensément les récepteurs de sérotonine qui existent dans les réseaux neuronaux des organismes vivants. Ce sont des activateurs sérotoninergiques. Mais ils n’activent pas tous les récepteurs sérotoninergiques des réseaux neuronaux – seulement certains d’entre eux. En fait, ils activent un spectre spécifique de récepteurs de sérotonine dans le cerveau et créent, ce faisant, des types particuliers d’effets dans les réseaux neuronaux.
Les neurognostiques sérotoninergiques
Les neurognostiques sérotoninergiques incluent certaines des substances psychoactives les plus notoires dont le DMT (l’Ayahuasca), le LSD, la psilocybine, la mescaline et la bufoténine. Et bien qu’ils affectent un complexe sophistiqué de récepteurs 5-HT, afin de créer un spectre unique de réponses de la part des réseaux neuronaux, ce sont les récepteurs 5-HT2a qu’ils affectent le plus intensément.
Les récepteurs 5-HT2a, répétons-le, existent dans tout le corps humain : dans le tractus intestinal, dans le système immunitaire, dans le coeur et dans le cerveau. Toute région forte en récepteurs 5-HT2a est intensément influencée par ces innovations sérotoninergiques. Dans le cerveau, cela inclue, par exemple, le cortex cérébral, le thalamus, l’hippocampe, les amygdales et le bulbe olfactif. L’activation des récepteurs 5-HT2a par le LSD, la psilocybine, et les autres hallucinogènes sérotoninergiques, induit des altérations immédiates dans le traitement hippocampique des données sensorielles, de l’apprentissage, de la mémoire – incluant son travail en profondeur avec les champs de signification en lesquels l’observateur est intégré. Le thalamus est également profondément affecté, réduisant ainsi, de manière conséquente, son activité de filtrage. Cela permet à la conscience de traiter beaucoup plus d’influx sensoriels. En fait, toutes les parties du cerveau, qui filtrent les données sensorielles, sont stimulées à réduire leur processus de filtrage. Il en résulte – en fonction de la quantité de la substance ingérée et des dynamiques du réseau neuronal particulier – une conscience accrue du champ sensoriel en lequel la personne est insérée. Et tout cela est vrai pour n’importe quel organisme vivant qui ingère des neurognostiques sérotoninergiques. Ainsi que les chercheurs Nichols et al. le commentent :
« L’activation pharmacologique des récepteurs de sérotonine, par le LSD, dans la mouche Drosophile , induit un comportement proche de ceux observés dans les systèmes mammifères. Ceux-ci incluent des altérations dans les capacités de traitement visuel, une activité locomotrice réduite et une expression des gènes altérée à l’intérieur du cerveau. La plupart de ces effets sont dus à l’activation des mêmes sous-types de récepteurs de sérotonine que l’on considère comme étant des vecteurs primordiaux des effets des substances hallucinogènes chez les humains ainsi que les symptômes aigus de la schizophrénie. »1
L’activité locomotrice réduite, qui est commune chez toute espèce ingérant des neurognostiques, vient d’ailleurs d’un état accru de contemplation. La perception du temps se ralentit, les frontières entre le soi et l’autre deviennent poreuses, les paramètres habituels de filtrage sont bloqués, les canaux sensoriels s’ouvrent en grand et les influx sensoriels deviennent alors si innovants que l’organisme est captivé par leur contemplation – tout comme il l’était dans sa jeunesse.
Terence McKenna, méditant sur ses expériences avec le DMT, les décrivit ainsi…
« Sous l’influence du DMT, le monde se transforme en un labyrinthe Arabe, un palace, un joyau Martien plus que potentiel, vaste de motifs inondant le mental ébahi de stupéfaction complexe et indicible. La couleur et le sentiment d’un secret proche, révélant une réalité, imprègne l’expérience. Il existe un sentiment d’autres temps, de sa propre enfance, et d’émerveillement, d’émerveillement, et encore plus d’émerveillement. »2
Et Albert Hofmann, ses expériences avec le LSD, ainsi…
« Des images fantastiques et kaléidoscopiques surgirent en moi, changeantes, variées, s’ouvrant et se refermant en cercles et en spirales, explosant en fontaines de couleurs, se réarrangeant et fusionnant en un flux constant. Il était particulièrement remarquable comment chaque perception acoustique, tel que le son d’un poignée de porte ou du passage d’une automobile, se métamorphosait en perceptions optiques. Chaque son générait une image se transformant vivement avec sa forme et sa couleur propres. »3
Et Aldous Huxley, au sujet de la mescaline, ainsi…
« Je continuai à regarder les fleurs, et dans leur lumière vivante, il me sembla déceler l’équivalent qualitatif d’une respiration – mais d’une respiration sans retours à un point de départ, sans reflux récurrents, mais seulement une coulée répétée d’une beauté à une beauté rehaussée, d’une profondeur de signification à une autre, toujours de plus en plus intense… Je vis les livres mais je ne me sentais pas concerné par leur position dans l’espace. Ce que je perçus, ce qui s’imprima en mon esprit, c’est que tous ces livres irradiaient d’une lumière vivante et que, chez certains, le rayonnement était plus manifeste que pour d’autres… L’espace était encore présent mais il avait perdu de sa suprématie. Le mental se focalisait essentiellement, non sur des mesures ou des localisations, mais sur l’être et le signifié… La mescaline sublime intensément toutes les couleurs et rend la personne, qui perçoit, consciente des diverses nuances fines et infinies auxquelles, en temps normal, elle est complètement aveugle. Il semblerait que, pour le Mental Universel, les caractéristiques prétendument secondaires des choses soient primordiales. À la différence de Locke, il ressent, bien évidemment, que les couleurs sont plus essentielles et méritent plus d’attention que les masses, les positions et les dimensions… Je n’arrêtais pas de dire : voilà comment l’on devrait percevoir. »4
Et Rudolf Gelpke, au sujet de la psilocybine :
«Après environ 20 mn (10:40), premiers effets : sérénité, mutisme, sensation légère mais plaisante de vertige et “respiration profonde et plaisante” (10:50). Fort ! Vertiges, je ne peux plus me concentrer… (10:55). Excité, intensité des couleurs : tout est de couleur rose à rouge (11:05). Le monde se concentre ici au centre de la table. Couleurs très intenses (11:10). Un être divisé, sans précédents – comment puis-je décrire cette situation de vie ? Des vagues, différents sois, je dois me contrôler.
Il abandonna alors sa prise de notes, minute par minute, en réalisant que
les possibilités de l’expression verbale sont effroyablement dérisoires – eu égard au flux d’expérience intérieure qui me submergea et menaça de me faire exploser. Il semblait que cent années ne seraient pas suffisantes pour décrire la plénitude d’une seule minute. Au début, les impressions optiques prédominèrent : je perçus, avec plaisir, la succession illimitée de rangées d’arbre dans la forêt proche. Ensuite, les nuages effilochés dans le ciel ensoleillé s’empilèrent soudainement, avec une majesté silencieuse et époustouflante, en une superposition de milliers de niveaux… Je suis allongé dans un petit recoin du jardin sur une pile de bois réchauffée par le soleil – mes doigts ont tapoté ce bois avec une affection sensuelle débordante et presqu’animale… durant un moment, je fis l’expérience de la réalité à partir d’un espace situé quelque part au-delà de la force de gravité et du temps. »5
Ce que font les neurognostiques, ainsi que les psychopharmacologistes Adam Halberstadt et Mark Geyer l’observent, c’est « inhiber des régions du cerveau qui sont responsables de la restriction de la conscience à l’intérieur des frontières étroites de l’état de veille normal. »6 Bien qu’une meilleure manière de l’exprimer, plutôt que “régions du cerveau”, soit d’évoquer des “régions de réseaux neuronaux”. Et plutôt que “la restriction de la conscience”, “la restriction de la perception”. Il existe, par conséquent, une conscience considérablement accrue du champ sensoriel, et des significations prévalant dans ces champs, quel que soit l’organisme impliqué.
Les neurognostiques sérotoninergiques – tels que le DMT et les alcaloïdes d’ergots à partir desquels le LSD est élaboré – sont répandus dans tous les écosystèmes de la planète ; ils sont profondément intégrés en chacune des biocommunautés de la Terre. Parmi tous ceux-là, la psilocybine (et son précurseur actif, la psilocine), qui est commune dans certains champignons, et le DMT, ubiquiste dans les plantes, sont les plus présents. Le groupe de champignons psilocybes est largement disséminé dans tous les biomes de prairies (l’une des principales écozones de la planète), tandis que le DMT est fortement présent dans toutes les écozones de forêts et de diversité végétale tout en se retrouvant communément dans les écozones désertiques (comme les cactus qui produisent les alcaloïdes phényléthylamine qui affectent également les récepteurs de sérotonine).
Il existe également un très grand nombre d’autres plantes neuroactives disséminées dans tous les biotopes de la planète ; elles affectent tous les récepteurs de sérotonine. Le Rhodiola, par exemple, se trouve dans les régions arctiques et dans les régions alpines élevées: il possède une forte influence sur les récepteurs 5-HT, stimule la différentiation et la croissance neuronales et fortifie la capacité d’apprentissage des réseaux neuronaux. Les substances chimiques végétales, qui affectent le réseau neuronal, sont partout.
Les neurognostiques et les composés psychoactifs sont la règle et non pas l’exception. Chacun d’entre eux affecte les réseaux neuronaux selon des voies légèrement différentes, en créant un spectre de réponses dans les récepteurs 5-HT – qui tous altèrent le filtrage que les organismes utilisent pour trier les influx sensoriels.
La Psilocybine
Les champignons créant des neurognostiques existent dans le monde entier : sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Les chercheurs Guzman, Allen et Gartz les ont divisés en quatre regroupements:
1. Les espèces avec de la psilocybine, et des indoles corrélés, incluant les genre Psilocybe (116 espèces), Gymnophilus (14 espèces), Paneolus (13 espèces), Copelandia (12 espèces), Hypholoma (6 espèces), Pluteus (6 espèces), Inocybe (6 espèces), Conocybe (4 espèces), Paneolina (4 espèces), Berronema (3 espèces) et Agrocybe, Galerina et Mycena (1 espèce chacun).
2. Les espèces avec de l’acide iboténique qui incluent les Amanites, particulièrement Amanita muscaria, Amanita pantherinaet Amanita regalis.
3. Les ergots qui incluent les 5 espèces de Claviceps qui croissent sur le seigle, et à partir desquels le LSD est élaboré, et 2 espèces non corrélées dans le genre Cordyceps.
4. Une diversité d’espèces avec lesquelles aucune expérimentation réelle n’a été effectuée mais que des groupes humains, géographiquement distincts, utilisent comme champignons sacrés. Cela inclue une vingtaine d’espèces dans six genres différents.
Cependant, on ne peut considérer que cette liste soit exhaustive – la recherche dans ce secteur est encore dans ses tout débuts. Albert Hofmann, qui développa le LSD, à partir d’alcaloïdes d’ergot dans les années 1940, n’isola la psilocybine qu’en 1958. Antérieurement à cela, les scientifiques refusaient de croire à l’existence de champignons psychotropes – et à l’existence de quoi que ce soit de psychotrope, d’ailleurs.
Ils insistèrent sur le fait que les neurognostiques ne pouvaient pas être répandus et que l’existence de composés similaires au LSD dans l’ergot ne pouvait être qu’une rareté. C’est alors qu’Hofmann les découvrit dans les champignons. Et puis dans les semences d’Ipomea. Ainsi qu’Hofmann l’observe, « Il existait une autre raison de douter, pour ces cercles de spécialistes, quant à la validité de nos découvertes. L’existence, dans des plantes supérieures, d’alcaloïdes d’ergots – qui jusqu’alors n’avaient été reconnus que comme constituants de champignons inférieurs – contredisait l’affirmation selon laquelle certaines substances sont caractéristiques de certaines familles spécifiques et sont restreintes à ces familles. » 7
Mais de telles substances, dans la Nature, ne sont pas limitées: elles sont partout. Les neurognostiques sont communs dans chaque écosystème de la Terre, dans de multiples genres et de multiples espèces. De nouveaux champignons psychoactifs (et des plantes, et des…) sont découverts, en permanence.
alors que des êtres humains intéressés commencent à observer
dans leur environnement
Tout aussi récemment que 2006, un alcaloïde indole, auparavant inconnu, fut découvert dans le champignon Inocybe aeruginascens avec une structure proche de la bufoténidine, un dérivé de la bufoténine, un hallucinogène relativement puissant.
et oui, certains y ont déjà recours pour planer
Aujourd’hui, on connaît 216 espèces différentes de champignons psychoactifs. La plupart utilisent des dérivés des sérotonines, ceux du groupe indole; la plupart contiennent de la psilocybine. Et la plupart de ces champignons, comme la plupart des espèces du groupe 1 de Guzman, sont co-évolutifs avec les Poacées (NDT: anciennement les Graminées). On les trouve souvent symbiotiquement associés avec les systèmes racinaires de diverses espèces dans les écosystèmes de prairie (et dans les excréments des herbivores qui paissent dans ces prairies), ou dans certains cas, comme celui des espèces du genre Pluteus, dans les forêts du monde entier, sur du bois en décomposition. Dans certaines écozones, lorsque l’écosystème de prairie contient également des plantes ligneuses, des arbustes et des arbres (par exemple, les savanes Africaines et les dehesa Ibériennes), on peut trouver ensemble ces deux types de champignons.
Le genre Psilocybe possède une relation co-évolutive ancienne avec de nombreuses espèces de Poacées, une relation qui a existé au moins depuis l’époque du Crétacée, il y a 140 millions d’années. Les mycélia des organismes s’étendent au travers du sol des écozones de prairies où ils s’attachent aux systèmes racinaires des Poacées – formant ainsi un très large réseau interconnecté, un tapis fongique mycorhizien. Dans ce cas précis, il s’agit de ce que l’on appelle une association endomycorhizienne (par opposition à ectomycorhizienne), puisque les hyphes, à savoir les filaments du réseau mycélial, s’attachent aux racines des Poacées pour ensuite s’y insérer (endo), à la fois dans les espaces intercellulaires – entre les cellules corticales des racines – et dans l’intérieur même de la cellule. En fait, ils s’entrelacent avec les tissus cellulaires racinaires en pénétrant dans les cellules et dans les espaces intercellulaires. Le cortex est la zone spécifique de la racine où se rencontrent la plante et les hyphes fongiques. L’apex – à savoir la partie de la racine considérée comme étant la principale structure neuronale – reste intouchée. Un fourreau ou collier se forme autour de l’hyphe à son point de rencontre avec le tissu vivant de la racine. Il joue le rôle métabolique d’une zone d’interaction entre les deux où se manifeste un échange permanent de composés chimiques.
Les alcaloïdes sérotoninergiques dans les hyphes fongiques stimulent, comme ils le font en tout organisme, le développement de nouveaux neurones, la formation de nouveaux réseaux neuronaux et la maturation des cellules du système racine/cerveau de la plante. Certaines des parties éloignées du système racinaire, devenant déjà sénescentes, font l’expérience d’une accélération de cette maturation et s’orientent plus rapidement vers la sénescence; à savoir, elles vieillissent et elles meurent. Le psilocybe existe alors en tant qu’organisme saprophyte, vivant d’une masse de racines en décomposition.
De ce système racinaire en décomposition, et tout autant des racines vivantes, les champignons acquièrent des nutriments, et d’autres composés, favorisant leur croissance, plus particulièrement des brassinostéroïdes, de puissantes hormones végétales. Le mycélium du champignon utilise ces composés, fondamentalement, comme un adaptogène végétal, à savoir une substance qui favorise une résistance non spécifique à des stress environnementaux. Les champignons psilocybes en sont particulièrement friands.
Bien que cela soit peu le cas, les remèdes de plantes peuvent être utilisés en tant qu’agents médicinaux pour les plantes tout autant que pour les animaux et les humains. De tels remèdes ont des effets similaires, et même identiques, à ceux qu’ils ont sur nous. On peut utiliser du Cordyceps, des infusions de Scutellaria baicalensis ou de Rodiola pour stimuler la production de tissus racinaires dans les plantes – incluant le cerveau des racines – des infusions de Sida acutifolia pour combattre des infections bactériennes, des infusions d’Isatis pour combattre des infections virales, ou même des plantes à haute teneur en brassinostéroïdes pour soutenir la fonction immunitaire d’une plante. Toutes ces plantes médicinales, utilisées sous forme d’infusions, et épandues sur le sol d’une plante, vont avoir un effet d’hormones végétales et stimuler l’élongation et l’expansion cellulaires (dans les racines), stimuler la régénération des tissus lésés et promouvoir la différenciation vasculaire. Elles vont également protéger les plantes durant des conditions de froid et de sécheresse – ou de tout autre stress environnemental – en agissant tels des adaptogènes. Lychnis viscaria, par exemple, possède une haute teneur en brassinostéroïdes et bénéficie très fortement à d’autres plantes à cet égard. Il accroît la résistance aux pathologies des plantes auxquelles il est appliqué sous forme d’infusion. Il est également tout aussi efficace lorsqu’il est placé en compagnonnage dans le jardin, agissant au travers d’associations racines/mycéliums et des divers composés chimiques volatiles qu’il produit et libère ensuite avec ses stomates.
La sénescence des systèmes racinaires des Poacées n’est pas imputable – et il est essentiel de bien le comprendre – à des influences pathogènes des Psilocybes. Les cortex des racines des Poacées deviennent naturellement sénescents et se délitent, que les champignons psilocybes soient présents ou non. Ce vieux tissu cellulaire végétal est destiné, en fait, à devenir du fourrage pour les Poacées, une sorte de terreau à rempoter auto-générateur qui conserve les plantes en bonne santé. Les champignons, ainsi que certaines bactéries, en sont également très friands et l’utilisent comme nutriment tout en accélérant la biodégradation des vieux tissus. Les espèces de Psilocybes, en particulier, possèdent un très fort tropisme, à savoir une attraction, vers une ample diversité de systèmes racinaires de Poacées: ils les traitent de manière similaire. Ils s’attachent aux racines déclinantes, en accélèrent la sénescence et la biodégradation, s’installent dans les racines en décomposition et établissent un mutualisme avec les plantes de Poacées afin de maintenir ce processus en vie.
Le tapis fongique s’étend au travers des écozones de prairies, se nourrit pour vivre des résidus des Poacées, incluant ceux des bouses d’herbivores (normalement des bouses de vache, mais auparavant des bouses de bison et longtemps auparavant des bouses de dinosaure) agissant, de concert avec des bactéries spécifiques, tels des vecteurs fondamentaux de recyclage. En attachant leurs hyphes aux racines des herbes déclinantes et en stimulant leur biodégradation, les champignons favorisent la fertilité et la santé de la rhizosphère entourant les systèmes racinaires des Poacées tout autant que la fertilité et la santé de l’intégralité de l’écozone de prairies. La plupart des écosystèmes de prairies sont, en fait, dépendants de la présence des espèces de psilocybes pour leur croissance harmonieuse.
La relation symbiotique/saprophytique, entre les Poacées et les champignons, confère au champignon les nutriments de croissance dont il a besoin tandis que les Poacées en retirent un certain nombre d’avantages – tout comme la plupart des plantes dans une relation fongique symbiotique. La rhizosphère, et donc l’écosystème, est maintenu en bonne santé et stimule la croissance et la dissémination des plantes. Les alcaloïdes indoles accélèrent la croissance et le développement des neurones des Poacées, favorisant ainsi le développement du système racinaire. Ils stimulent également le développement de la racine/cerveau et les innovations structurales du réseau neuronal, permettant ainsi aux Poacées de réagir de manière plus adéquate aux perturbations de l’environnement. D’autres composés confèrent des propriétés anti-inflammatoires, analgésiques, antibactériennes, antifongiques, stimulant le système immunitaire et normalisant la vie cellulaire.
Chacun de ces derniers composés possède un spectre unique d’activités. Les composés antifongiques, par exemple, protègent le système racinaire des Poacées à l’encontre des attaques de nématodes et de champignons pathogènes. En d’autres mots, tout comme les bactéries co-évolutives le font pour nous, à la surface de notre épiderme ou dans nos intestins, les champignons psilocybes protègent leurs partenaires co-évolutifs d’autres organisme fongiques moins bienveillants.
Cependant, ces influences ne sont pas seulement locales. De telles relations de co-évolution ne se manifestent pas seulement- comme de nombreux scientifiques le proclament encore – entre deux organismes.
Les scientifiques prétendaient auparavant que la co-évolution n’existait pas,
que c’était un monde sans pitié, partout où on regarde
Anal-gésique : bénéfique pour le traitement d’une douleur dans le cul ?
Une panacée pour les réductionnistes ?
Comme Michael Crichton le commenta, les relations de co-évolution se manifestent presque toujours entre un nombre “n” d’organismes.
Les interactions co-évolutives dans des réseaux complexes d’écosystèmes
Lorsque des organismes biologiques auto-organisés – tels que des plantes, des champignons, des insectes et des animaux – se rassemblent dans une région spécifique, ils forment un écohabitat ou même une écozone (plus étendue). Les écohabitats, fondamentalement, s’auto-organisent dans ce processus, les plantes et les diverses formes de vie agissant comme des sous-unités allopoïétiques du plus grand ensemble autopoïétique.
Et l’écozone devient consciente de soi-même durant ce processus
de même que tous les systèmes biologiques auto-organisés
Ainsi que les chercheurs Eoin O’Gorman et Mark Emmerson le commentent, ces « communautés naturelles sont finement structurées et révèlent des propriétés qui promeuvent la stabilité en dépit de la complexité ». Il existe un “arrangement non aléatoire de forces d’interaction”, entre les sous-unités allopoïétiques, qui “promeut la stabilité au niveau de la communauté”.8 “Non aléatoire”, à savoir qu’il se manifeste quelque chose de plus que la simple chance: il existe un sensdans les associations entre les sous-unités du système. Dans les écohabitats et dans les écozones de prairies, les Poacées tout comme les psilocybes agissent avec une fonction de “forts interacteurs”, ainsi qu’on les appelle. A savoir qu’ils agissent essentiellement comme des espèces-clés autour desquelles tout l’écohabitat est orienté. Les autres plantes, dans le système, sont considérées comme de “faibles interacteurs”. Ainsi que le commentent O’Gorman et Emmerson, « les réseaux écologiques complexes sont caractérisés par des distributions de forces d’interactions qui sont profondément déséquilibrées, avec une pléthore d’interacteurs faibles et seulement quelques interacteurs forts. »9
O’Gorman et Emmerson conduisirent des expérimentations au travers desquelles ils ôtèrent des interacteurs forts d’écosystèmes complexes et découvrirent, sans surprise, que cela « générait une cascade trophique dramatique » dans le système. À savoir que le système faisait immédiatement l’expérience d’un changement de phase, allant d’un état de haute complexité à un état beaucoup moins sophistiqué. Ils commentèrent que,
« Les écosystèmes naturels constituent un enchevêtrement complexe d’interactions avec 95% des espèces typiquement à pas plus de trois chaînons de distance. Cette complexité naturelle perdure contre toutes probabilités parce qu’elle est gouvernée par des principes et des lois fondamentales qui confèrent de la stabilité. L’un de ces principes les plus largement acceptés est la dynamique d’interactions entre espèces. Il existe une tendance à considérer la biodiversité en termes d’identités taxonomiques ou de rôles fonctionnels; cependant, chaque espèce peut être considérée comme un nexus dans une toile complexe d’interactions. Chaque nexus contribue à l’harmonie générale d’interactions, que cela soit une interaction faible ou forte. Etant donné la nature hautement interconnectée des chaînes alimentaires, toute perte de biodiversité pourrait induire des effets en cascade, modifiant la dynamique des forces d’interactions et menaçant ainsi de déséquilibrer la stabilité conférée par cette dynamique ».10
La perte d’une espèce-clé, dans de telles circonstances (tels que le champignon psilocybe ou les espèces de Poacées qui constituent leurs partenaires co-évolutifs), s’avéra « générer des effets disproportionnés eu égard à leur abondance ». Et de plus,
« Les fluctuations dans la biomasse de population sont communes et des actions compensatoires entre espèces peuvent maintenir une biomasse globale. Les modifications dans les productions primaire et secondaire montrées ici sont, cependant, des réactions à un niveau de communauté suggérant que l’effet de garantie de la diversité de la communauté n’est pas suffisant pour annuler les impacts de l’éviction d’interacteurs forts. De telles cascades trophiques peuvent altérer les flux d’énergie, la composition des communautés et la provision d’habitats et induire des extinctions secondaires ».11
En d’autres mots, lorsque les espèce-clés restent relativement stables, les interacteurs faibles sont en flux constant autour d’elles – diverses plantes entrant ou sortant de l’écosystème, au fur et à mesure que l’environnement, dans lequel le système est enchâssé, modifie sa nature et ses besoins. La quantité et l’identité des interacteurs faibles changent au fil du temps. Cela permet de garder intact l’homéodynamique du système. Cependant, l’élimination de l’espèce-clé induit des effets immédiats nuisibles sur le système, provoquant un effondrement de sa complexité vers un état plus simple.
O’Gorman et Emmerson découvrirent que l’élimination d’interacteurs “faibles” n’induisait pas d’effets aussi extrêmes ; cependant, ces groupes de plantes jouent un rôle de stabilisation sur le système. En d’autres mots, les interacteurs forts génèrent des effets puissants sur le système tandis que les interacteurs faibles modulent ces effets vers des objectifs spécifiques. « Crucialement, lorsque des interacteurs forts étaient présents dans la communauté sans un nombre suffisant d’espèces faiblement interactives autour d’eux », l’écosystème se déstabilisait.12 Une perte d’interacteurs faibles conduisait à « des réductions dans la stabilité spatiale et temporelle des niveaux de processus écosystémiques, de diversité de communauté et de résistance ».13
Plus dynamiquement (et plus précisément), des interacteurs faibles et forts peuvent être considérés (par certains chercheurs) comme des “chaînons” plutôt que comme des “acteurs” dans un réseau de communications.
Tout en sachant que le concept de “nexus”, proposé par O’Gorman et Emerson, est encore préférable. Un nexus est un point de concentration de matière, où le puits de gravité devient le plus puissant, et ce “puits” génère immédiatement des chaînons “gravitationnels” avec tous les autres nexus du système. Tout est alors connecté dans une toile de champs plus forts ou plus faibles – ce à quoi réfère la théorie du chaos comme des attracteurs forts et faibles. On les trouve partout dans les systèmes non linéaires. Pourquoi cela a-t-il demandé tant de temps aux écologistes ?
Dans tous les écosystèmes en bonne santé, il existe un réseau de quelques interacteurs forts enchâssés dans un champ majoritairement composé de faibles attracteurs. Les interacteurs forts exercent des effets beaucoup plus puissants mais ils sont maintenus dans une toile intimement connectée de faibles attracteurs qui modulent leurs actions.
Par exemple, la plupart des espèces-clés, pour ne pas dire la totalité, ont besoin d’un attracteur faible, appelée une plante/nourrice qui, la première, va commencer à croître dans un nouvel espace avant que l’espèce-clé ne puisse y croître avec succès. Cette plante/nourrice va préparer le sol exactement de la manière qui convienne le mieux à l’espèce-clé. Comment les graines de l’espèce-clé trouvent-elles leur chemin vers le sol préparé, une fois qu’il est prêt ? Nul ne le sait mais les modèles mathématiques démontrent que cela n’est pas aléatoire. La plante/nourrice envoie un message de communication, sous forme de substances volatiles, pour signifier que le sol est prêt ; mais donc, comment les graines y parviennent-elles ? Les semences ne peuvent ni s’asseoir, ni bouger.
Le réseau entrelacé, dans son intégralité, avec seulement cette association d’attracteurs, produit un écohabitat ou une écozone extrêmement adaptables où chaque partie contribue par des réactions essentielles qui, ensemble, modulent l’adaptation harmonieuse du système aux perturbations. Ce qui est crucial, ce n’est pas juste de savoir quelles espèces sont présentes, mais plutôt de connaître le comportement des espèces, leurs interactions avec les autres espèces dans le réseau. Toutes ensemble, elles constituent une communauté dans laquelle la présence et les actions de chaque organisme sont cruciales pour une fonctionnalité qui perdure. Dans une telle communauté, les espèces sont si intimement connectées qu’elles ne peuvent légitimement pas être considérées isolées les unes des autres. Ou comme Masanobu Fukuoka le déclara un jour :
« Le biosystème holistique et vivant qu’est la Nature ne peut pas être dissocié ou réduit en ses parties. Une fois dissocié, il meurt. Ou plutôt, ceux qui détachent un morceau de la Nature s’emparent de quelque chose qui est mort et ne prenant pas conscience que ce qu’ils examinent n’est plus ce qu’ils pensent, ils clament comprendre la Nature… Parce que l’homme part avec des méconceptions au sujet de la Nature et adopte la mauvaise approche pour la comprendre, quel que soit son niveau de rationalisation, tout se termine mal ».14
Il s’avère que ces réseaux communautaires complexes fluctuent dans le temps quant à la composition de leurs interacteurs faibles (les chaînons forts sont enclins à rester constants).
Une fois que l’espèce-clé est bien établie
la plante/nourrice s’en va ailleurs
Alors que le système répond aux perturbations, les espèces particulières qui y sont présentes changent de localisation et d’autres prennent leur place. De nouveaux attracteurs faibles, avec des capacités et des facultés de production chimique différentes, circulent en permanence au travers du système, sur de très longues périodes de temps, afin de conserver l’adaptabilité du système vis à vis de circonstances environnementales altérées. Ces mouvements appelés des fluctuations asynchrones de stabilité de système, constituent, en fait, l’un des éléments du système qui reste proche de la frontière d’auto-organisation. Lorsque de nouvelles espèces végétales intègrent le système, elles synchronisent alors leurs actions avec le reste des chaînons dans le système, de la même manière que les humains le font quand deux personnes commencent à marcher ensemble. C’est de cette synchronicité qu’émergent des structures d’auto-organisation qui ne peuvent pas se développer d’une quelconque autre façon.
Il en est de même avec la manière dont les musiciens – une fois qu’ils trouvent le point d’équilibre, une fois qu’ils se synchronisent les uns avec les autres – réussissent à découvrir des expressions musicales qui ne peuvent émerger que de la synchronisation. Ils improvisent des expressions spécifiques de communication à partir de cet état unifié. Et ils le réalisent en intégrant, milliseconde après milliseconde, les expressions de communication musicale émanant des autres musiciens et en créant les leurs, en réponse
Tout cela constitue, bien sûr, l’expression
d’un langage liquide complexe
empreint de significations se métamorphosant rapidement
puisées aux sources les plus profondes du sentiment humain
conservées secrètement au sein de tonalités musicales
et très spécifiquement court-circuitant le mental linéaire et le langage réducteur. Ainsi que Duke Ellington l’exprima un jour :
« Il vous faut trouver une façon de le dire sans le dire ».15
Les musiciens, qui reçoivent cette communication musicale toujours changeante, l’interprètent immédiatement en-dessous du seuil de la conscience
tout comme un jongleur le fait
et ils répondent ensuite, en juste quelques millisecondes, à partir de la zone où ils sont
le temps de rêve unique qui est le sujet de cet ouvrage
afin que puisse se manifester une expression de communication vivante, continuelle et en métamorphose perpétuelle. Et ceux d’entre nous qui écoutent, si nous nous donnons le loisir de plonger dans cet espace de rêve avec eux, font l’expérience d’un commentaire unique et très profond sur ce que cela signifie d’être humain, pris par la condition humaine, enchâssé dans ce scénario que nous connaissons comme le monde, touché par un cosmos vivant chaque jour de notre vie. La réponse de notre coeur, à ce qui est présenté à nos sens, est éveillée. Et tout comme il en est de même pour les écrivains, cette forme d’expression musicale est générée à partir d’une forme unique et très ancienne de cognition, une ancienne manière de rassembler des connaissances à partir du coeur du monde, un type de cognition qui a prévalu dans les écosystèmes bien avant l’émergence des humains.
« Cette chanson des eaux (comme Aldo Leopold le dit, une fois) est audible à toutes les oreilles mais il existe une autre musique dans ces montagnes qui n’est pas du tout audible à tous. Pour être capable d’en entendre juste quelques notes, il te faut tout d’abord vivre ici pendant longtemps et tu dois connaître le langage des montagnes et des rivières. Et, lors d’une nuit calme, lorsque le feu de camp s’assoupit et que les Pléiades ont grimpé au-delà des falaises, assis-toi paisiblement et écoute un loup hurler et médite intensément sur tout ce que tu as vu et tenté de comprendre ».16
Il existe un flux permanent de communications interactives dans les écosystèmes et chaque portion minuscule est une réponse aux communications éternelles, permanentes et fluides qui émanent de tous les membres intimement corrélés de cet écosystème et de l’environnement en lequel il est enchâssé. Il existe un langage dans le monde bien plus antique que le nôtre
le nôtre n’est qu’un reflet de ce langage plus ancien,
notre manière de le “saisir”, notre innovation
et ce langage, en se mouvant au travers des écosystèmes, leur confère une forme spécifique à la communication se manifestant en ce lieu. Ainsi que Hans Olff et al. le commentent au sujet des écosystèmes complexes, « les comportements et les propriétés structurales émergentes se manifestent souvent au niveau du système, pointant vers des “sémantiques” sous-jacentes d’organisation systémique ».17
Le choix d’Olff pour le mot sémantiques est ici révélateur; son équipe aurait pu choisir le mot “ordre”, par exemple, ou même “structure”. Mais non. En fait, ils font écho à certaines des intuitions les plus géniales de Gregory Bateson, parmi lesquelles “la croissance et la différenciation” sont “contrôlées par la communication”. Ce a quoi Bateson rajoute
« Les formes des plantes et des animaux sont des messages transformés. Le langage lui-même est une forme de communication. La structure de l’apport doit contenir un analogue de grammaire parce que toute l’anatomie est une transformation d’un matériau/message qui doit être contextuellement façonné. Et finalement, le façonnage contextuel n’est qu’un autre terme pour grammaire ».18
La sémantique, à savoir,
« l’étude de la signification des formes de discours, et particulièrement du développement et des métamorphoses dans les significations des mots et des groupes de mots »19
d’un type particulier, est donc “sous-jacente” à toute organisation d’écosystèmes. En d’autres mots, ainsi que Olff et al. le reconnurent, les significations qui se meuvent au sein du système en façonnent la structure – et les organismes qui y vivent. Comme Bateson l’observa brillamment, ce flux de significations façonne en réalité l’anatomie,
vous pouvez en percevoir exactement la manifestation lorsqu’une plante avec une forme et une chimie est transplantée dans un écosystème différent. La forme tout comme la chimie se métamorphosent et, parfois, à un point tel que la plante est difficile à identifier.
faisant littéralement des plantes et des animaux que nous voyons, dans un écosystème donné, “des messages transformés”. Et ces messages sont des communications particulières au sujet de cet écosystème particulier, sa fonction, ses dynamiques, ses interrelations, etc, ad infinitum. Dans ce processus, les bactéries, les plantes et les champignons jouent un rôle majeur.
Les plantes libèrent des phytochimiques dans la rhizosphère, au travers de leurs racines, dans leurs partenaires mycéliaux en des points de contact entre les racines et les hyphes et au travers de leurs stomates dans l’air. Ces substances chimiques sont créées et ensuite libérées – toujours – comme réponses envers des communications affluentes. Il existe, de fait, un échange permanent de communications qui est une réponse courante et un commentaire sur le statut en cours du système. Il existe une réaction comportementale, émanant de chaque membre du système, eu égard à chaque minuscule altération dans l’échange de communications qui s’y manifeste.
tout comme il en existe dans notre température corporelle
moment après moment
en réponse à son analyse des conditions externes et internes
L’écosystème est tout autant harmonisé qu’un groupe de musiciens dans un état de profonde synchronie. Toute perturbation entrante est immédiatement confrontée par le système dans son intégralité, chaque acteur individuel, grâce à son génie propre, choisissant exactement, à un niveau bien en-dessous de la conscience, ce qu’il faut faire pour maintenir l’équilibre du système.
Mais ces systèmes ne font pas juste une ou deux rondes le samedi soir. Ils ne se fatiguent pas comme les musiciens. Ils ne s’arrêtent jamais. Et plus on permet à ces systèmes de rester dans la zone, de fonctionner sans distorsion humaine sur de longues périodes de temps, plus s’accroît l’efficacité de chaque système. Plus étendue est la période de temps, plus nombreuses sont les innovations qu’il découvre et manifeste, plus nombreuses sont les innovations sur le thème qu’il découvre.
Et le plus de mémoire il possède de ce qu’il a appris, mémoire qu’il peut transmettre
tout comme nous transmettons ce que nous avons appris.
Ces improvisations peuvent être considérées comme une expression de probabilités conditionnelles – essentiellement un choix parmi un nombre presqu’infini de bifurcations qui se manifestent continuellement le long du chemin/flux de l’existence.
Le système auto-organisé touche l’univers à de multiples points de contact (en nombre presqu’infini) le long de ses marges tri-dimensionnelles et lorsque l’univers/système extérieur se presse sur le sous-système auto-organisé, du coeur du réseau, ce qui n’étaient auparavant que des probabilités conditionnelles émergent du système et se manifestent sous une forme. On ne peut jamais prédire laquelle des probabilités ; le système décide au travers des actions combinées de toutes ses unités allopoïétiques et génère une gestalt unique à partir de l’ensemble complexe.
De tels écosystèmes complexes sont des groupements auto-organisés et emboîtés.
« Dans la Nature, ainsi que l’exprime Fukuoka, un ensemble englobe les parties, et un plus grand ensemble englobe l’ensemble englobant les parties. En élargissant notre champ de vision, ce que l’on considère comme un ensemble devient tout simplement une partie d’un plus grand ensemble. Et un autre ensemble, à son tour, englobe cet ensemble en une séquence concentrique qui se déploie à l’infini. »20
Ce ne sont pas des assemblages linéaires. Ils sont encastrés selon des termes de complexité auto-organisée (cellule à organe à organisme à organismes à écosystème) mais ils sont également encastrés selon des termes d’espace-temps tridimensionnel. Certains agissent sur des lignes temporelles plus courtes, d’autres sur de plus longues. Certains ont des actions plus intenses au-dessous du sol, certains au-dessus. Et chacune des parties, en synchronie intime avec toutes les autres, est essentielle. Dans de tels systèmes complexes et sains, la résilience est élevée, à savoir que la période de temps est minuscule permettant de restaurer l’homéodynamique à la suite d’une perturbation.
En réponse à des perturbations, le réseau d’organismes vivants dans un écohabitat réorganise constamment les relations et la structure des réseaux neuronaux, à la fois individuels et globaux.
la structure sémantique du système change
En d’autres mots, ses messages/communications changent ainsi que ces messages transformés. C’est une autre manière de concevoir la plasticité neuronale. Les réseaux neuronaux dans les écosystèmes altèrent constamment leurs formes neuronales. La structure de la totalité du système, sa topologie neuronale, est une propriété émergente de son auto-organisation et, en tant que telle, est constamment altérée afin de maintenir l’homéodynamique du système. De tels systèmes sont, dans leurs comportements, non-linéaires. Ce qui est intéressant, c’est que tandis que la focalisation (depuis les années 1970) s’est faite sur les espèces-clés, il s’avère qu’il existe des comportements-clés. Les mouvements des espèces de plantes, souvent invasives,
les plantes invasives sont des messages transformés
et les messages qu’elles portent n’ont rien à voir avec
ce que croient les sociétés d’éradication
sont en fait des comportements-clés qui agissent afin de restaurer l’homéodynamique des systèmes dans les écohabitats qui ont été abîmés, souvent par un excès d’empiétement humain. Dans les forêts tropicales, par exemple, l’immigration par propagules d’arbres est une interaction-clé, un comportement-clé, et une force dominante dans les dynamiques et la structure de communauté.
Dans les prairies, ce sont les champignons psilocybes et les Poacées qui constituent les espèces-clés; leur mutualisme est un comportement-clé. Mais il existe un autre comportement-clé qui est ici crucial, et c’est la création et la libération de composés sérotoninergiques uniques par les champignons psilocybes dans l’écohabitat sur une base régulière.
La Psilocybine et les réseaux neuronaux des écosystèmes
Répétons-le, la relation Poacées/psilocybes/bouses d’herbivores est au coeur de la santé de tous les biohabitats de prairies sur Terre. Mais ce ne sont pas les seuls organismes dans les communautés de prairies; dans des prairies en bonne santé, on peut trouver plus d’un millier d’espèces de plantes vasculaires. Et ces plantes vasculaires existent dans une matrice formée par le tapis endomycorhizien de Poacées/Psilocybes qui est en fait
un espace topologique tri-dimensionnel
qui s’étend du plus profond des racines les plus profondes
jusqu’au sommet des arbres les plus élevés, dans l’habitat
et d’un côté à l’autre, au-dessus du paysage ondulant
aussi loin que ses limites flottent
et ce tapis se déploie dans tout le sol de cet écohabitat. Essentiellement, le réseau endomycorhizien – qui est composé d’un organisme hybride élaboré par les neurones de la plante et les neurones mycéliaux sur des connexions synaptiques uniques – forme un système neuronal extensif pour cet écohabitat. Les autres plantes vasculaires en forment une partie intégrale car les neurones de leurs racines sont tout autant connectés au réseau.
Ainsi que le mycologue Paul Stamet l’a découvert, de tels réseaux mycéliaux sont communs dans les écosystèmes du monde entier et partout où ils émergent, les plantes et le système acquièrent une santé et une vitalité meilleures.
Les tapis endomycorhiziens Poacées/Psilocybes, dans les écohabitats sains de prairies, accroissent la respiration du sol ; ils augmentent, dans le sol, l’activité enzymatique et les teneurs en azote et en carbone ; ils stimulent la formation de communautés microbiennes uniques; et ils génèrent une haute activité métabolique partout où ils se forment. La structure de sol et sa teneur en argiles sont influencées par une diversité de facteurs incluant – plus particulièrement – l’érosion générée par le mutualisme plante/champignon. La production fongique de sol enrichi, au travers de la biodégradation des Poacées déclinantes, influence également la texture du sol. Les systèmes racinaires stimulés des Poacées ameublissent le sol lorsque les extrémités des radicelles s’y enfoncent profondément – il en est de même du mouvement du mycélium à l’intérieur du sol. Cela permet à la microfaune du sol (nématodes, bactéries, amibes) de se mouvoir plus aisément dans le sol et au sol d’absorber une plus grande quantité d’eau – dont la zone complexe de la rhizosphère a besoin pour continuer à fonctionner. Le réseau endomycorhizien plante/champignon promeut en fait la texture du sol pour son propre bénéfice.
le système auto-organisé
modifie son environnement pour favoriser l’optimum de vie
comme le font tous les organismes biologiques auto-organisés
Des prairies dépourvues de tels tapis mycorhiziens sont beaucoup moins vigoureuses et beaucoup moins capables de répondre à des perturbations environnementales.
Mais c’est la présence de composés psychoactifs et neurognostiques dans le réseau endomycorhizien de l’écohabitat de prairies qui génère autant de plasticité et de résilience dans le système. Les actions de ces composés sur les récepteurs de sérotonine dans le réseau végétal stimulent – tout comme ils le font en nous – la formation de plus de neurones/racines. Le cerveau/racine se déploie ensuite, créant ainsi un réseau neuronal plus étendu pour la plante individuelle. Cela lui permet de processer les données plus efficacement quant à son environnement et de générer des solutions. Mais ce cerveau/racine en extension est également connecté – au travers de connexions intimement synchronisées avec les hyphes fongiques – au réseau neuronal fongique plus global. Et ce réseau neuronal étendu circule dans l’intégralité de l’écohabitat, créant par là-même un réseau neuronal encore plus vaste. Les autres plantes vasculaires dans l’écohabitat se synchronisent également intimement avec ce réseau, en l’étendant encore plus. Et tous communiquent ensemble. De milliseconde en milliseconde en milliseconde. La libération de composés sérotoninergiques par les champignons, dans les réseaux neuronaux des plantes individuelles et dans le plus grand ensemble
plus particulièrement durant des perturbations
ouvre en grand les portes de filtrage en laissant passer plus de données sensorielles
et une plus grande perception des significations de ces flux sensoriels
à savoir une plus grande sensibilité à ce que Bateson appelle le “matériau/message”
ce qui génère un spectre plus ample d’adaptations aux perturbations environnementales afin de maintenir les systèmes auto-organisés intacts (plantes et écohabitats). Les composés stimulent, essentiellement, des comportements à l’extérieur de paramètres normaux et habituels en favorisant l’innovation dans le système et ses sous-unités.
Les humains ne sont pas les seuls à passer leur temps à créer de nouveaux alcaloïdes hallucinogènes. Les psilocybes le font aussi. Si l’on donne à leur mycélium du N,N-diethyltryptamine (DET), en addition à son liquide nourricier – une substance que l’on ne trouve pas dans la Nature – les champignons innovent sur cette forme particulière en créant 4-hydroxy-N,N-diméthyltryptamine (4-HO-DET), un hallucinogène extrêmement puissant, que l’on ne trouve pas, non plus, dans la Nature. Une innovation alcaloïdale pénètre alors les réseaux neuronaux des écosystèmes de la Terre. (Et tout ce LSD que nous avons produit et excrété ? Qu’en ont fait tous les organismes de la Terre ?). La question émerge alors – comme Alexander Shulgin le souligna si justement – de savoir ce qui est naturel. Mais une requête supplémentaire se fait jour : qu’est-ce qui pousse tant d’êtres humains à innover, avec autant d’expertise, sur tous ces alcaloïdes sérotoninergiques ?
Les psilocybes, et ce n’est pas étonnant, se sont disséminés dans le monde entier dans des écohabitats ravagés qui ont été surpâturés. Ils sont particulièrement agressifs quand il s’agit de s’installer dans des régions agricoles perturbées qui ont été fertilisées avec du fumier de vache, de chèvre, de mouton (c’est à dire provenant de ruminants,
l’origine de notre mot ruminer).
La capacité de ces composés d’affecter tous les organismes vivants, d’altérer leurs réseaux neuronaux et leurs processus de filtrage sensoriel, reflètent une vérité Gaïenne profonde quant aux neurognostiques. Ils sont, comme Kim Dawson le souligne, des éléments cruciaux dans « une niche écologique en évolution, une qui est requise par un écosystème dont la survie est menacée »21. L’impact des composés fongiques sur les êtres humains n’est qu’un exemple particulier d’une fonction et d’une condition écologiques générales. Et leurs influences sur nous sont – comme ils le sont pour tout ce qui est vivant – importantes et cruciales pour notre séjour harmonieux sur cette planète. Il en est de même du DMT.
Le DMT
Connu aussi comme N,N-diméthyltryptamine, le DMT est massivement présent dans tous les écosystèmes du monde entier, tout comme les psilocybes. Ainsi que Rick Strassman le souligne :
« le DMT fait partie de la constitution normale des êtres humains et autres mammifères ; des animaux marins ; des graminées et des légumineuses ; des crapauds et des grenouilles ; des champignons et des moisissures ; et des écorces, des fleurs et des racines »22.
Il est particulièrement présent dans les plantes vasculaires. Selon une source, le composé existe dans plus de 200 espèces appartenant à 18 familles botaniques différentes, plus particulièrement dans les genres Acacia, Delosperma, Psychotria etVirola. Comme Alexander Shulgin le commente dans son livre “TIHKAL: Tryptamins I have known and loved”: «Le DMT est partout… il est dans cette fleur-ci et dans cet arbre-là et dans cet animal là-bas; il est simplement partout où vous regardez»23.
Le DMT est élaboré dans les plantes en utilisant des enzymes pour convertir du tryptophane en tryptamine et en N-méthyltryptamine et finalement en N,N-diméthyltryptamine, le DMT. L’Ayahuasca – qui est de nos jours la préparation de DMT la plus communément utilisée – est une décoction de plantes combinant une espèce contenant du DMT (généralement Psychotria viridis ou Diplopterys cabrerana) et une autre espèce contenant des alcaloïdes β-carbolines (presque toujours Banisteriopsis caapi) qui sont des inhibiteurs des monoamine oxydases. Le DMT est complètement inactif s’il est pris oralement en raison de sa destruction par les enzymes monoamine oxydases présents dans les intestins et dans le foie humains. Les β-carbolines, dans la seconde plante de cette décoction d’Ayahuasca, inhibent les monoamine oxydases permettant ainsi au DMT de pénétrer, dans un état hautement actif, le flux sanguin et le système nerveux.
Des êtres humains, sur la planète, dans des temps très anciens et bien avant l’invention des métaphores chimiques, imaginèrent d’associer ces deux espèces pour obtenir exactement ce résultat. Personne ne se pose la question de savoir comment. Et bien sûr que non: ils n’ont pas déambulé dans les forêts en expérimentant avec chacune des espèces qu’ils rencontraient dans leur quête afin de générer un effet hallucinogène qu’ils n’auraient jamais pu connaître – avant que ces deux plantes spécifiques ne fussent combinées ensemble de cette façon.
Les plantes ne rencontrent pas ce genre de problèmes. Le DMT les affecte sans soucis. Et tout comme le genre Psilocybe, le DMT est profondément entrelacé dans les écosystèmes du monde entier – en lesquels il agit quasiment de la même manière que la psilocybine. Les arbres libèrent le composé au travers de leur système racinaire affectant ainsi les biotes du sol, au travers de leurs stomates dans l’atmosphère, et dans les réseaux mycéliaux au travers desquels il est disséminé dans les écohabitats des plantes.
Les arbres et les autres plantes peuvent être considérés, plus précisément, comme une innovation des tapis mycéliaux qui lancent des organes de fructification que l’on appelle les champignons. Les champignons les plus anciens émergèrent il y 1300 millions d’années (et commencèrent alors à fabriquer des alcaloïdes sérotoninergiques), les premières plantes terrestres 600 millions d’années plus tard. Le système racinaire d’un arbre est en fait un tapis mycélial modulé. L’arbre est l’organe de fructification se déployant au-dessus du sol et qui, au lieu de spores, libère des semences à disséminer. Un arbre est un matériau/message transformé et sa transformation est fondée sur l’innovation antérieure de réseaux mycéliaux/organes de fructification fongique.
Le DMT, tout comme la psilocybine, stimule l’extension des réseaux neuronaux des plantes, ouvre encore plus les seuils de filtrage et stimule les innovations quant aux réponses de l’écosystème vis à vis de perturbations afin d’en accroître la résilience fonctionnelle.
Le DMT est essentiellement une innovation sérotoninergique
pour être utilisée par les plantes vasculaires plutôt que par les champignons
afin d’améliorer le fonctionnement des réseaux neuronaux
Les neurognostiques, sous quelque forme moléculaire que ce soit, existent pour cette raison et ce depuis leur création. Ils favorisent des perceptions plus profondes du champ de réalité en lequel nous sommes tous enchâssés. Nous ne sommes pas les seuls qui ayons des expériences visionnaires.
La neuroactivité des neurognostiques
La conversation, en cours, quant aux neurognostiques, qui a occupé le monde Occidental, depuis les années 60, est embourbée dans une ornière assez profonde. Ainsi que Tyler Volk le commenta dans ses explorations de métastructures en ayant recours à la métaphore du canoë :
« Supposez que l’on vous demande de définir un canoë. Vous décrivez alors sa forme, ses dimensions, ses composants et même sa méthode de fabrication – comme pour en construire un ou au moins pour en reconnaître un. Dans un autre type de réponse, vous pouvez aussi décrire ce qu’accomplit un canoë, comment il fonctionne, en transportant une personne sur les eaux ».24
Et en fait, ce que presque tout le monde fait, lorsqu’ils s’intéressent aux neurognostiques, c’est d’utiliser l’une de ces approches ou les deux… souvent avec une régularité lassante. Ils n’arrêtent pas de parler des substances chimiques et des récepteurs dans le cerveau. C’est utile jusqu’à un certain point, mais…
Cela ne construit pas d’ailleurs un canoë – bien que de nombreux scientifiques le pensent quand même – ni en donne d’ailleurs, ce qui est plus essentiel, une expérience. Il s’agit seulement d’une carte et non pas du territoire. Cela ne va pas vous soutenir sur l’eau ou même, ultimement, vous emmener là où votre âme a besoin d’aller, et plus particulièrement si vous décidez de vous embarquer pour la traversée de l’Océan de l’Être afin de découvrir, par vous-mêmes, ce qu’il en est.
Et donc, de temps, en temps, et à partir de maintenant, je présenterai certains concepts de la troisième voie de Volk, à savoir, « plutôt que de déclarer quoi que ce soit au sujet du canoë même, vous décrivez l’expérience d’être dans un canoë et ce que l’on peut voir du paysage en voguant ».25 Cette troisième voie est véritablement la plus cruciale de toutes – car chacun d’entre nous doit découvrir la nature authentique du monde pour nous-mêmes. Et pour ce faire, éventuellement, il nous faudra voguer en canoë – tôt ou tard. Comme le dit Benny Shanon, commentant ses expériences avec l’Ayahuasca :
« Les formats légitimes de la cognition, je pense, sont définis en termes d’expérience chargée de significations et non pas en termes de processus neurophysiologiques ou des événements du cerveau. La situation est analogue à celle que l’on rencontre en musique. On conviendra que sans piano, une musique de piano ne peut pas se manifester à l’existence. Cependant, si l’on appréhende tout ce qui est pertinent à la compréhension d’une sonate de piano, cela ne fait aucun sens de n’étudier seulement que la physique des cordes de piano et leur acoustique ».26
Nos récepteurs 5-HT pourraient être le piano mais ils ne sont pas la chanson… et ils ne le seront jamais. Nous pouvons apprendre à moduler intentionnellement nos récepteurs et arriver donc à créer un type particulier de musique, afin de participer activement au Chant de la Terre. Nous pouvons alors pénétrer profondément dans un état de synchronie avec les autres organismes de ce monde, et même avec le monde. Ce faisant, nous pouvons découvrir des expressions de communication – qui ne pourraient être découvertes d’une autre façon – des vérités concernant ce monde que l’on ne peut trouver par nulle autre approche. Mais tout ce qu’une dissection de piano peut nous amener concerne seulement le piano, cela ne nous dit rien quant à l’impact de la musique sur le coeur humain, sur le coeur du monde, ou comment cette musique accompagne l’âme sur son chemin de voyage. Les gens oublient constamment, sous l’impulsion de la mégalomanie réductrice,
des déclarations insistantes des neuroévangélistes
que (comme Crutchfield le note) : « même avec une carte complète du système nerveux d’un organisme simple… on ne peut pas déduire le comportement de cet organisme »27.
Gardez cela à l’esprit
notre propos véritable ici, c’est la chanson
et notre capacité de la chanter en harmonie avec les autres formes de vie,
tout cela, jusqu’à maintenant,
n’a été que l’élaboration d’une carte plus précise
nous allons bientôt voguer dans le canoë
ou peut-être même nager… nus.
Mais avant de se mettre tout nus… encore quelques points au sujet du piano.
Les neurognostiques sérotoninergiques affectent de la même façon tous les organismes. Ainsi que Frantz Vollenweider et Mark Geyer le commentent, les effets de tels composés « émergent, du moins, de leur capacité commune d’altérer le filtrage thalamo-cortical des informations internes et externes vers le cortex… Des études, portant sur d’autres espèces, de fonctions de filtrage équivalentes tel que l’inhibition du pré-stimulus réflexe de sursaut… corroborent cette vision ».28
En d’autres mots, il n’importe que peu que vous soyez une plante, une araignée, un oiseau, un singe ou un être humain, le réseau neuronal va en être affecté de manière similaire. Ainsi qu’Hofmann le souligne :
« À de très faibles doses optimales, les toiles des araignées étaient même mieux proportionnées et plus minutieusement construites que normalement: cependant, avec des doses plus élevées, les toiles étaient mal élaborées et de façon rudimentaire ».29
Les neurognostiques sont, en fait, de puissants analogues de sérotonines et ils affectent les systèmes de sérotonine dans tous les organismes vivants. Et chaque système vivant utilise la sérotonine et chaque organisme vivant en possède des récepteurs. Tout et tout le monde plane et le niveau de planante dépend de la quantité intégrée.
La question intéressante, néanmoins
c’est de savoir à quoi les toiles ressemblent
une fois que l’araignée redescend
Chez l’être humain, les impacts des neurognostiques sérotoninergiques sur les récepteurs 5-TH affectent chaque partie du corps dans lequel ils se manifestent. Ces impacts induisent de multiples effets en aval, incluant des affects sur les GABA, sur les récepteurs de dopamine (tels que D-1 et D-2) et sur les récepteurs métabotropiques du glutamate (mGluRs). L’imagerie neuronale a mis en valeur que la psilocybine (ainsi que la mescaline) accroît bilatéralement, de manière conséquente, l’activité du cerveau au niveau des cortex frontal médial et frontal latéral, incluant le cortex cingulaire antérieur. Des augmentations moins conséquentes se manifestent dans les lobules pariétaux supérieur, inférieur et temporal médian, dans le striatum et dans le thalamus. Des diminutions d’activité se manifestent dans le noyau caudé gauche, bilatéralement dans le striatum ventral, le lobe occipital et la voie optique. Le filtrage sensoriel est immédiatement affecté, les canaux de filtrage s’ouvrent beaucoup plus et dans toutes les expérimentations conçues pour examiner les dynamiques de filtration, des altérations conséquentes ont été découvertes.
Les hallucinogènes sérotoninergiques agissent également sur les récepteurs de dopamine D1 et D2 ainsi que sur les récepteurs adrénergiques A-2. Ils accroissent la synesthésie (à savoir la fusion de deux modalités sensorielles, ou plus, en un unique vecteur sensoriel perceptuel), ils altèrent la perception et l’attribution de significations à ce qui est perçu et perturbent les chemins de traitement normal des données. Ils transforment la nature de la cognition même.
Ils transforment la nature de la cognition même.
Ils accroissent les compréhensions perceptuelles de l’environnement, élargissent la perception du coeur et diminuent, de manière substantielle, la dépendance au cerveau antérieur. On commence à sortir des limites étroites du soi réducteur et à faire l’expérience de l’identité individuelle des autres formes de vie. Benny Shanon observe qu’en Ayahuasca il existe :
« Le ressenti que l’on comprend les personnalités des autres individus et que l’on gagne un accès spécial à leurs états mentaux et sentiments intérieurs. Une communication, sans médiation, est également vécue avec les animaux. En fait, les expériences durant lesquelles on ressent que l’on peut communiquer avec les animaux, et les comprendre, sont très communes en Ayahuasca. Des expériences similaires sont reportées avec les plantes ».30
Jason Godesky commente que cette perception de l’identité individuelle d’autres êtres vivants est essentielle à une habitation humaine harmonieuse de la Terre car si nous refusons d’accorder une identité individuelle à “l’autre”, nous finissons par
« refuser d’accorder une identité individuelle à nos compagnons humains. Ultimement, nous ne pouvons reconnaître les autres qu’au travers de l’empathie ; c’est en reconnaissant assez de nous-mêmes chez l’autre que nous réussissons à lui octroyer la même nature d’identité individuelle, d’autonomie, de pensées et de sentiments dont nous faisons nous-mêmes l’expérience en premier lieu. En général, cela s’avère difficile à moins que nous communiquions avec cet autre et que nous en recevions un feedback permettant de confirmer cette identité individuelle ».31
Lorsqu’une personne soustrait son empathie du monde extérieur, des êtres humains, comme Godesky le souligne : « Nous appelons cette personne un sociopathe. C’est ainsi qu’une définition relativement adéquate de la civilisation se focaliserait sur la normalisation systémique de la sociopathie… Ne pas reconnaître [que le monde est rempli de personnes non-humaines] requiert un effort spécifique et conséquent. Nous devons entraîner méthodiquement nos enfants à retenir leur empathie car sinon ils continueront de traiter toutes sortes de choses non-humaines comme des gens. L’animisme provient de la condition naturelle de l’humanité ; nous devons enseigner tout autre chose ».32
Les neurognostiques sérotoninergiques génèrent, ou peut-être plus précisément, régénèrent les sentiments enfantins naturels d’empathie, l’expérience directe de la personnalité de l’autre non-humain, en altérant la filtration sensorielle de façon conséquente. Ils altèrent les fonctions des cortex frontaux et des régions limbiques et pariétales du cerveau – qui sont toutes fortement impliquées dans le sens du soi, à savoir dans l’identification du soi et de l’autre, tout autant que dans l’expérience de la structure du temps, quels stimuli sont considérés pertinents et l’innovation de nouveaux comportements. Lorsque la filtration sensorielle est altérée dans ces diverses régions du cerveau, les frontières entre le soi et l’altérité s’amenuisent, l’empathie s’accroît, le temps se ralentit et chaque nouvel influx sensoriel devient nouveau et de plus en plus essentiel. Et répétons-le… les frontières entre le soi et l’altérité s’amenuisent… et parfois elles disparaissent complètement. Ainsi que Fitz Hugh Ludlow décrivit son expérience :
« Maintenant, dans le silence primitif de quelque forêt tropicale non explorée, je disséminai mes feuilles plumées, une fougère géante, et j’oscillai et me balançai dans une tempête d’épices au-dessus d’une rivière dont les vagues exsudèrent soudain des nuées de musique et de parfum. Mon âme se métamorphosa en une essence végétale, palpitant d’une extase étrange et inimaginable ».33
Un tel amincissement des frontières est crucial. Car c’est alors que vous commencez à percevoir d’autres formes de vie à partir de leur propre point de vue. Et par conséquent, un accroissement de l’empathie s’avère inévitable. Et cela a d’importantes implications pour la santé et le fonctionnement de l’écosystème. Ainsi qu’Aldous Huxley l’observa un jour : « Nous voir comme les autres nous voient est un don des plus salutaires. Tout aussi importante est la capacité de percevoir les autres comme ils se perçoivent eux-mêmes. Mais qu’en est-il lorsque les autres appartiennent à une race différente et demeurent dans un univers étranger ? ».34 Nous ne pouvons découvrir un chemin vers une habitation humaine durable de cette planète que lorsque nous apprenons à percevoir les autres membres de la communauté de la Terre de leur propre point de vue – à savoir de se tenir là où ils se tiennent – et à ressentir une empathie avec leur vie.
Mais également… cet accroissement du sentiment de l’altérité, cette expansion de la conscience perceptuelle, fait également autre chose de crucial. On se “sent” bien ! Cela altère littéralement l’expérience de la déconnexion existentielle dont tant souffrent dans le monde Occidental. Les hallucinogènes indolés, tels que le LSD, la psilocine (la psilocybine), le diméthyltryptamine (DMT), les hallucinogènes dérivés de phényléthylamine, tels que la mescaline et le DOM (2,5-dimethoxy-4-methylamphetamine), accroissent tous la sensitivité aux stimuli sensoriels et les réponses à ces mêmes stimuli… et ils le réalisent de façon très plaisante. On se “sent” bien de percevoir sensoriellement.
Avec les neurognostiques sérotoninergiques, tels que la psilocybine, la mescaline et le LSD, les effets expansifs sur la filtration sensorielle stimulent la plasticité synaptique et, pour certains, permettent aux canaux de filtration sensorielle de rester beaucoup plus ouverts ultérieurement. Cela permet l’intégration régulière de plus grandes quantités de données sensorielles et la faculté d’œuvrer avec des spectres plus amples de significations, en accroissant l’innovation en réponse aux influx environnementaux, incluant la compréhension des association entre objets dans l’environnement qui ne sont pas normalement perçues. Se sent-on bien? On continue de se sentir bien. Comme Havelock Ellis le décrit, concernant la mescaline:
« Je peux, effectivement, dire que depuis cette expérience, j’ai été beaucoup plus sensible esthétiquement parlant, que je ne l’étais auparavant, aux phénomènes plus délicats de lumière, d’ombre et de couleur ».35
Ou Albert Hofmann avec le LSD:
« Je fus inondé d’une sensation de bien-être et de vie régénérée. Le petite déjeuner avait un goût délicieux et il me donna un plaisir extraordinaire. Quand je sortis plus tard dans le jardin, où le soleil brillait après une pluie printanière, tout brillait et scintillait dans une lumière fraiche. C’est comme si le monde était régénéré. Tous mes sens vibraient dans une condition de haute sensitivité ».36
L’ingestion initiale de substances hallucinogènes, dans tous les organismes, est suivie par une activité décrue et une plus grande attention sensorielle à l’environnement. Puis, il s’ensuit une exploration accrue de cet environnement.
Sainte Merde et facteurs (Ouah ! Regarde cela !) subséquents.
L’Ayahuasca, la psilocybine, le LSD, et autres neurognostiques, décroissent la filtration sensorielle de toutes les modalités sensorielles – plus particulièrement visuelles et somesthésiques (tactiles). La sensitivité de l’épiderme s’accroît de façon conséquente, la perception visuelle est modifiée, la perception auditive s’accroît. La vitesse de pensée accrue est également commune mais, ce qui est encore plus important, la formation d’associations entre des phénomènes disparates est fortement stimulée. L’inclination à focaliser l’attention diminue, l’attention tend à devenir plus générale, se déployant vers l’environnement intégral de stimulus sensoriels. Le mental conscient suit alors ce qui capture son attention… jusque qu’à la prochaine capture. Le soi se met intimement en résonance avec tout ce que l’environnement signale, avec tous les messages émanant du monde dans lequel la personne est intégrée.
Et maintenant, quelques commentaires sur les cannabinoïdes… sinon, je vais recevoir des lettres.
Cannabinoïdes
Les cannabinoïdes, qui ne sont pas à proprement parler sérotoninergiques par nature, affectent également la filtration sensorielle. Ils produisent exactement les mêmes effets malgré que, généralement, en bien moindre intensité. Ils affectent puissamment les réseaux neuronaux et ils jouent des rôles neuro-modulateurs essentiels au niveau du système immunitaire et des systèmes nerveux central et périphérique dans le corps humain. Nos corps produisent naturellement des cannabinoïdes (endocannabinoïdes) et les utilisent dans toutes les parties du corps où ils participent aux communications intracellulaires. Les cannabinoïdes (endo- ou ecto-) jouent des rôles modulateurs au niveau des neurotransmetteurs tels que GABA, 5HT, glutamate, acétylcholine, noradrénaline et dopamine, à partir d’un certain nombre de structures du système nerveux central telles que le cervelet, l’hippocampe, le striatum, la substance grise et le cortex. Ils agissent tel un mécanisme autorécepteur présynaptique en modulant le GABA tout autant que l’acide glutamique dans le système neuronal. Les récepteurs au glutamate induisent, en fait, la synthèse d’endocannabinoïdes en réponse à des indices environnementaux (ou internes) afin de réguler la libération de GABA et les niveaux de système. La production d’endocannabinoïdes altère l’architecture neurocognitive, stimulant la plasticité neuronale et les réponses aux perturbations environnementales. Durant des périodes de stress intense, ils sont généralement produits en très forte quantité.
Les cannabinoïdes agissent dans tous les cortex sensoriels, incluant le bulbe olfactif, l’épithélium olfactif et le cortex olfactif; ils agissent sur les mécanismes de filtration sensorielle de l’odeur, du toucher, du goût, de la vue et des perceptions de ressentis. Les récepteurs cannabinoïdes dans le système nerveux central modulent la nociception, à savoir les processus neuronaux d’encodage et de traitement des stimuli sensoriels. Ils agissent afin de moduler les influx sensoriels primaires au travers d’effets de filtration sensorielle en modulant la libération de GABA des dendrites de cellules granulaires.
Fondamentalement, ils vous font planer tout comme le font les neurognostiques sérotoninergiques. Et comme les plantes contenant du DMT, et les champignons psilocybes, les plantes qui contiennent des cannabinoïdes – plus particulièrement le cannabis – sont arrimées à leurs écosystèmes, partout où elles croissent. Elles affectent les réseaux neuronaux dans ces systèmes, tout comme elles le font en nous.
Et oui, c’est vrai, la Terre plane
Et comme ils le font en nous, et comme le font tant de neurognostiques, les cannabinoïdes agissent afin de pourvoir des fonctions de soulagement de douleurs dans les écosystèmes, au bénéfice de chaque organisme dans le réseau, au bénéfice de l’écosystème même.
Les écosystèmes peuvent être endommagés. Lorsqu’ils le sont, des signaux sont envoyés au travers du réseau neuronal, tout comme ils le sont pour nous, afin de signaler le dommage au système. Les écosystèmes ressentent la douleur, tout comme nous – tout comme tout ce qui possède un réseau neuronal. C’est la fonctionnalité qui le requiert. La douleur est un signal neuronal de lésion se manifestant dans le système. Elle attire l’attention du système afin que la lésion puisse être traitée. Un système sans une réaction de douleur n’est absolument pas capable de s’adapter aux fluctuations environnementales. Et ces neurognostiques ? Non seulement ils aident à soulager les douleurs mais ils stimulent aussi la régénération du réseau neuronal qui peut aider le système à générer des réponses de guérison qui ne lui étaient pas, auparavant, accessibles. Aider le système à innover des réponses vis à vis non seulement de perturbations extérieures mais également intérieures.
Les neurognostiques et la fonction de l’écosystème
Les analogues puissants de sérotonine existent pour des raisons écologiques spécifiques : ils fonctionnent spécifiquement pour stimuler la plasticité neuronale dans les réseaux neuronaux du système-Terre et, à la fois, pour ouvrir beaucoup plus les seuils de filtration. Ils stimulent le fonctionnement du réseau neuronal en dehors des paramètres habituels normaux, en permettant aux organismes individuels de générer des innovations uniques en réponse à des perturbations environnementales – à la fois internes et externes. Il n’est donc pas surprenant qu’un spectre très large d’organismes vivants ait recours aux neurognostiques et ils y réagissent de façon similaire. C’est une impulsion écologique – et de très longue antiquité évolutive – pour les membres d’une espèce que de les utiliser ; ce n’est pas pathologique. Ainsi que le chercheur Georgio Samorini le commente :
« Maintenant que nous avons découvert son existence très répandue dans le royaume animal, [une déduction logique] est qu’une altération de la conscience induite par des substances psychotropes précéda l’origine de l’homme. S’altérer soi-même est un comportement qui remonte aux tout débuts de l’évolution animale, des insectes aux mammifères et aux femmes et hommes ».37
Ou comme Donald Siegel le souligne :
« Ces substances psychotropes que les animaux sélectionnent à leur usage sont capables d’interagir avec les mécanismes normaux du cerveau développés au fil de l’évolution pour impulser des comportements biologiquement essentiels (nourriture, eau et sexe). Dans un certain sens, la quête de substances psychotropes est la règle et non pas l’aberration… [l’utilisation des substances psychotropes] possède une valeur d’adaptation évolutive ».38
Et “cette valeur d’adaptation évolutive”? La restructuration des réseaux neuronaux et la réinitialisation des seuils de filtration afin de permettre des réponses plus sophistiquées à des événements environnementaux imprévisibles – externes ou internes. Elle accroît la portée et la sophistication de la réponse. Ainsi que le poète Dale Pendell le décrit:
« Vous le méritez. D’apprendre que votre œil possède une capacité microscopique, que vos mains peuvent être des mains de sculpteurs, que vous pouvez comprendre Debussy et suivre toutes ses voltiges. Comment les traités et les compendiums ésotériques des philosophes-alchimistes sont des notes crûment rédigées sur le terrain auxquelles vous pouvez ajouter vos commentaires ».39
La complexité du système auto-organisé, que nous appelons la Terre, rend extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, la prédiction d’événements futurs. Mais comme le chercheur en créativité, Edward de Bono, le souligne : « si vous ne pouvez pas prédire précisément le futur, vous devez alors vous préparer à assumer différents futurs possibles ».40 Les réseaux neuronaux des organismes sont eux-mêmes des systèmes auto-organisés non linéaires et ils sont généralement capables de gérer l’imprédictibilité. Mais les paramètres de filtration tendent à se figer au fil du temps et tous les organismes sont enclins à s’habituer à certaines amplitudes d’influx sensoriels et de réponses aux perturbations environnementales.
Cela inclue les plantes, les bactéries, les insectes, les animaux et les écosystèmes.
Cependant, les neurognostiques agissent – comme ce que le chercheur Italien Georgio Samorini décrit comme “un facteur ou un instrument de déformatage” ou ce qu’Edward de Bono appelle “des facteurs d’Opération de Provocation (OP)”. À savoir qu’ils « projettent les modèles consolidés dans le désordre ». De Bono remarque qu’une Opération de Provocation,
« donne à une personne la permission d’avoir recours à des idées qui ne sont pas cohérentes avec l’expérience. Avec l’Opération de Provocation, plutôt que de rejeter ces idées, une personne peut les utiliser comme un tremplin vers d’autres idées. L’Opération de Provocation permet alors le recours “aux impossibilités intermédiaires”. Puisque ces idées “impossibles” ne s’accordent pas avec les modèles établis, elles rendent impossible une certaine distanciation de l’expérience existentielle. L’Opération de Provocation est un instrument libérateur qui libère [le mental] de la rigidité des idées, des schémas, des divisions, des catégories et des classifications établies. L’Opération de Provocation est un instrument de concepts innovateurs ».41
Ou comme Samorini l’exprime :
« Si l’espèce veut être capable de se conserver au fil du temps, elle doit inclure la capacité d’évoluer, de s’adapter et de se métamorphoser en réponse à des changements environnementaux continuels. Le principe de conservation (de ce qui a été acquis) tend à préserver rigidement les modèles et les schémas établis mais la modification (la quête de nouvelles voies) requiert un instrument de déformatage, ou une fonction, capable de s’opposer – au moins durant certains moments déterminés – aux principes de conservation ».42
et il continue : « Puisque c’est presque toujours un certain pourcentage, seulement, de membres d’une quelconque espèce qui s’impliquent [dans l’usage de substances], il se peut que ce pourcentage réalise une fonction de déformatage non seulement pour lui-même mais aussi pour l’espèce dans son entièreté ».43
Sommes nous en train de nous engager dans une expression “variante” de la sensibilité perceptuelle humaine ? Et s’il en est ainsi, ne pourrions-nous pas alors la considérer comme, peut-être, une évolution adaptative bénéfique ? Comme une réalité démographique vieille comme le temps, possiblement câblée dans les âmes de certains, qui, en fait, enrichit et diversifie la civilisation humaine ?
Nous ne pouvons pas solutionner des problèmes
en ayant recours au même type de paradigme que nous avons utilisé
lorsque nous les avons générés.
Comme Samorini le commente, « Historiquement parlant, le motif fondamental pour utiliser des substances psychotropes émerge du désir d’appréhender la réalité plus pleinement, et non pas d’y échapper ».44 Les neurognostiques, comme les chercheurs l’ont mis constamment en exergue, induisent une plasticité neuronale dans le cerveau. L’impact de la psilocybine, et d’autres neurognostiques, constitue en l’altération de la perception habituelle du champ environnemental en lequel l’observateur est immergé. Les canaux de filtration sensorielle sont ouverts de telle sorte qu’ils induisent un spectre plus élargi d’influx sensoriels tout autant que des significations qui sont encodées au sein de ces stimuli sensoriels.
La neurogenèse et la plasticité synaptique sont stimulées dans l’hippocampe, la fonction hippocampique s’intensifie (l’accroissement en influx sensoriels peut être perçu comme un champ environnemental plus riche) et la découverte de solutions aux problèmes est stimulée en dehors des canaux normaux et habituels. Comme Albert Hofmann le souligne :
« Si l’on continue avec la perception de la réalité comme un produit de transmetteur et de percepteur, l’entrée donc dans une autre réalité sous l’influence du LSD peut être expliquée par la fait que le cerveau, le siège du récepteur, devient biochimiquement altéré. Le récepteur est donc connecté à une autre longueur d’onde que la normale, celle de la réalité quotidienne. Puisque la diversité infinie de l’univers correspond à un nombre tout aussi infini de longueurs d’ondes différentes, en fonction de l’ajustement du récepteur, de nombreuses réalités différentes, incluant l’ego respectif, peuvent devenir conscientes. Ces réalités différentes, plus correctement désignées comme des aspects différents de la réalité, ne sont pas mutuellement exclusives mais elles sont complémentaires et elles forment ensemble une portion de la réalité éternelle, tout-englobant et transcendantale avec la capacité d’enregistrer plusieurs egos.
La vraie importance du LSD, et des hallucinogènes corrélés, repose en leur capacité de modifier les paramètres de longueur d’onde du “soi” récepteur et, donc, d’évoquer des altérations dans la conscience de la réalité. Il a la capacité de permettre à des nouvelles et différentes visions de la réalité d’émerger ».45
Les neurognostiques brisent les formats habituels. Ceux qui les ingèrent, et écrivent au sujet de leurs expériences, commentent tous, quant à ces effets. Voici le témoignage d’Anaïs Nin quant aux effets du LSD sur son cadre habituel de perception :
« J’ai pris conscience que l’expression anglaise “blow my mind” était née du fait que les Américains ont cimenté l’accès à l’imagination et à la fantaisie et qu’il faudrait de la dynamite pour faire sauter ce blocage ! Leary avait raison quant à son insistance sur le fait que nous utilisons seulement 1% de notre mental ou potentiel, que tout dans notre éducation conspire pour nous restreindre et nous brider. On ne peut que souhaiter que les gens prennent autant de temps à étudier les drogues qu’ils étudient la religion, ou la philosophie, et à s’adapter à cette altération chimique de nos corps.
La valeur du LSD réside dans le fait que c’est un raccourci vers l’inconscient afin que l’on puisse entrer aisément dans le monde de l’intuition, pur comme pour les enfants, de réaction émotionnelle directe avec la Nature, aux autres êtres humains. Dans un sens, c’est le retour à la spontanéité et à la fraîcheur de la vision de l’enfance qui permet à chaque enfant de chanter ou de peindre ».46
Et Adelle Davis, également sur ses expériences avec le LSD :
« Dans la semaine suivant mon premier séjour dans l’autre monde, je pris conscience que je paraissais avoir deux personnalités : une personnalité pré-LSD où mes propres sentiments restaient dominants et vers laquelle je me tournais en cas de stress; et une personnalité post-LSD caractérisée par la sérénité, la tolérance, l’optimisme et un effacement de l’ego. Lorsque la seconde personnalité avait la préséance, je pouvais parfois ressentir les sentiments des autres avec une intuition étonnamment précise. Avec chaque expérience, les deux personnalités devinrent plus manifestes mais, au bout d’une période de quelques mois, elles n’étaient plus discernables et elles fusionnèrent apparemment ».47
Et de nouveau Hofmann :
« Dans les conditions normales de conscience; dans la réalité quotidienne; on est face à face avec le monde extérieur ; il est devenu un objet. Dans les états de LSD, les frontières entre le soi sujet de l’expérience et le monde extérieur ont tendance à se dissiper… Le feedback entre le récepteur et le transmetteur prend place. Une portion du soi s’écoule dans le monde extérieur, dans les objets, qui commencent à vivre, à manifester une autre signification plus profonde ».48
La perception amplifiée de l’arrière-scène métaphysique du monde induit, en fait, de considérables innovations dans la mesure où les schémas habituels sont brisés. Les gens apprennent à voir, à entendre, à ressentir et à penser selon des voies nouvelles. Il n’est que de porter son regard sur les innovations dans la musique Occidentale, sur les développements en technologie du son qui se manifestèrent subséquemment et sur les innovations dans les domaines de la santé alternative, de la technologie informatique et du commerce – qui toutes émergèrent dans les années 60 sous l’influence des neurognostiques.
Vrai, un grand nombre d’entre eux étaient stones et beaucoup l’admettent comme Steve Jobs d’Apple (bien que certains, avec lesquels nous plannions à l’époque, portent maintenant des costumes 3 pièces en prétendant qu’ils ont toujours conservé leur système neuronal chaste alors qu’ils vivent d’un commerce dont ils ont eu l’intuition lorsqu’ils étaient stones ou sous acide) ou Kary Mullis, le biochimiste prix Nobel, qui rendit crédit au LSD pour sa découverte de technologies d’amplification d’ADN, à savoir la réaction en chaîne par polymérase (PCR) qui est utilisée dans les laboratoires du monde entier afin d’identifier plus rapidement les microorganismes.
Le fait que tant de sauts évolutifs dans le monde Occidental, après la seconde guerre mondiale, émergent des neurognostiques est le petit secret peu ragoutant que les rétrécis mentaux ne peuvent accepter. Bien que, comme Samorini le commente :
« Le fait qu’un comportement humain, tel que le recours à des substances psychotropes – dénigré et prohibé avec une telle insistance parce qu’il est considéré comme étant non naturel, et donc immoral – soit également prévalent dans le reste de la Nature et pratiqué par de nombreux animaux, devrait nous enseigner à être beaucoup plus prudent quant à nos évaluations et convictions ».49
Une des raisons du courroux des PTS (les Personnes Très Sérieuses) peut être appréhendée en regardant ce qui se passe dans l’interaction entre ceux qui ingèrent des neurognostiques, et qui altèrent véritablement leurs schémas habituels, et ceux qui ne le font pas. Que le comportement de ceux qui planent se transforme ou non, cela n’est pas important. Les gens qui les entourent peuvent percevoir qu’ils ont consommé quelque chose que les autres n’ont pas consommé, qu’ils se sont transformés fondamentalement. Cela les effraie. Comme le souligne Hofmann :
« Une communauté de singes en cage réagit de façon très sensible lorsqu’un membre de la tribu a reçu du LSD. Bien qu’aucune transformation n’apparaisse dans cet animal spécifique, toute la cage est en émoi parce que le singe qui a reçu le LSD n’observe plus les lois de son ordre tribal hiérarchique finement coordonné ».50
Si nous accordons une place dans notre culture pour ceux qui ont ressenti l’oscillation des épaules de l’éléphant, l’existence de la niche pourrait réduire le niveau de peur parce que le comportement serait identifié et sa catégorie reconnue. Mais le problème est particulièrement aigu en Occident, et encore aux USA. Comme le souligne Hofmann : « un concept de réalité qui sépare le soi du monde a déterminé, de façon décisive, le cours évolutif de l’histoire intellectuelle Européenne ».51 Ceux qui ouvrent leurs canaux de filtration représentent un danger pour l’étayage fondamental de ce paradigme réducteur. Comme Marlene Dobkins de Rio le souligne :
« Si ces substances n’étaient pas illégales, les shamans émergeraient ».52
et c’est pourquoi les drogues sont illégales, pourquoi les schizophrènes ne sont jamais éduqués quant à l’utilisation de leur capacités amplifiées, pourquoi les arts sont si pitoyablement soutenus et pourquoi ceux qui sont doués sont considérés comme des handicapés du développement. Et de tous ces impacts des neurognostiques sur les réseaux neuronaux humains, nuls ne sont plus dangereux, sans doute, pour le status quo, que leur amincissement des frontières entre le soi et l’altérité.
Dans tous les rapports concernant la schizophrénie, ce paramètre est considéré comme l’un des aspects les plus pathologiques de la situation, un aspect que leurs mentaliseurs essayent, avec force, de neutraliser au travers de l’utilisation de substances pharmaceutiques.
Une fois que la frontière s’amenuise, il est difficile de séparer le soi de l’autre. Les sentiments de l’autre et mes sentiments s’entrelacent et je commence à percevoir l’autre à partir de son propre point de vue. Je commence à opérer à partir d’une position d’empathie; le monde n’est plus une scène sanguinaire et je commence à faire personnellement l’expérience de la réalité vivante des formes de vie qui existent à l’extérieur de mes limites normales et distinctes. Je commence à prendre soin. Et ensuite, inévitablement, je commence à veiller à la manière dont je traite les habitants du monde, à l’extérieur de ma peau.
Lorsque nous ingérons des neurognostiques, nous pénétrons dans un autre monde, non pas dans un espace statique empli d’objets non corrélés mais plutôt dans un scénario constamment interactif empreint de significations et de communications. Et ce faisant, quelque chose de très intéressant commence à se manifester. Nous nous enchevêtrons avec le vivant, les fondations sémantiques, du monde. C’est alors que les fondations intégrales du monde Occidental réductionniste commencent à s’effondrer.
Et rien n’est jamais alors comme avant
Traduction de Dominique Guillet. Octobre 2015.