Du premier catalogue 1994 de Terre de Semences à Kokopelli en 2014
Au détour des chemins semaillant, il nous arrive parfois, chez Kokopelli, de recevoir des lettres pour le moins surprenantes – pour ne pas dire chamaillantes – telle aujourd’hui celle de Thomasine, une fervente adhérente, frisant l’insulte, qui nous accuse d’introduire les “hybrides” de tomates de Tom Wagner et de faillir à notre mission de protection des “anciennes variétés”. L’objectif déclaré de ce présent article est donc de faire le point chez Kokopelli, mais aussi hors Kokopelli, sur ce que l’on appelle des tomates anciennes, des tomates modernes, des tomates en pollinisation ouverte, des tomates enregistrées, des fausses tomates anciennes…
Notre premier catalogue structuré date de 1994 avec la création de Terre de Semences qui va prendre le relais du Jardin Botanique de la Mhotte (créé fin 1992 dans l’Allier à St Menoux) – en train de couler suite à non-assistance à biodiversité en danger. En effet, à l’époque, le concept de protection de la biodiversité alimentaire est quasiment absent de la conscience collective. Quant à l’argent “public”, à cette époque déjà, il est strictement pris en otage pour tout ce qui concerne la création d’hybrides F1 ou de chimères génétiques – au bénéfice de l’industrie.
Le premier catalogue de Terre de Semences présente donc, en 1994, environ 130 variétés de tomates accessibles en semences bios produites par nos soins dans les jardins de la Mhotte. Vingt ans plus tard, l’Association Kokopelli propose près de 750 variétés de tomates, dans ses gammes boutique et collection, accessibles aux jardiniers et maraîchers. Nous avons des centaines d’autres variétés de tomates dans nos congélateurs mais elles ne sont que cela, des semences de tomates congelées.
En décembre 2014, notre gamme boutique comprend environ 450 variétés de tomates qui sont commercialisées et dont les semences ont été produites par (et donc achetées à) notre réseau de producteurs bios de semences. C’est un exploit de distribuer, en bio, une telle diversité de tomates. D’autant plus que cette distribution est très inégale en termes de quantité en fonction des variétés.
En effet, les statistiques que nous avons réalisées pour l’année 2013 mettent en exergue que – dans la gamme boutique Kokopelli de 384 variétés – 50% des ventes sont réalisées avec 42 variétés (11% de la gamme) et 60% des ventes sont réalisées avec 65 variétés (17% de la gamme). Une partie des jardiniers privilégie ce qu’on appelle les “best-sellers” qui sont, chez Kokopelli, Noire de Crimée, Ananas, Des Andes, Speckled Roman, Rose de Berne, etc. Ce sont donc environ 320 variétés de tomates en 2013 qui constituent les 40% restant des ventes. Cette situation est loin d’être catastrophique, sur le plan de la biodiversité, mais elle nous demande une très grande vigilance quant à la mise en place de nos campagnes annuelles de production de semences. D’autant plus, que nous avons pour stratégie, chez Kokopelli, de ne pas garder en commercialisation des lots de tomates de plus de quatre années – et ce, d’autant plus, que nous avons la transparence d’apposer sur chaque sachet l’année de production des semences, en sus de la date d’ensachage ; ce qui constitue une pratique strictement non habituelle dans le secteur semencier. Comme les tomates gardent leur capacité de germination pendant 10 années ou plus, ces lots de semences sont alors distribués dans le cadre de notre campagne Semences sans Frontières.
Cette préservation d’une telle diversité de tomates est d’autant plus un exploit que l’Association Kokopelli est plutôt sujette à des bâtons dans les roues plutôt qu’à l’octroi de subventions – puisque l’argent public est strictement divergé vers la consolidation de l’agrochimie et des très forts bénéfices de l’industrie semencière et parfois même vers la création de chimères génétiques tel que dans le cas du CIRAD qui chimérise allègrement en Colombie des riz transgéniques… au bénéfice des pauvres paysans Africains, ce qui va sans dire. (3)
Et nous en profitons, une nouvelle fois, pour remercier tous nos parrains, marraines qui nous aident à préserver quelques centaines de variétés de tomates en plus, que nous n’aurions pas les moyens financiers de mettre en production au sein de notre réseau professionnel car c’est déjà un énorme challenge d’avoir 450 tomates dans notre gamme boutique.
Origines des variétés de tomates chez Kokopelli
Au détour d’autres chemins (dans les commentaires des experts en diffamation téléguidés par l’agrochimie ou dans les communiqués et les plaidoiries de Philippe Baumaux, par exemple), il s’avère que nous sommes accusés de distribuer des variétés distribuées par d’autres, et pire encore, de ne distribuer que des variétés “américaines” de tomates. Par “américaines”, nos détracteurs – qui sont tout autant handicapés de la joie de vivre que sujets à des connexions synaptiques dysfonctionnelles – entendent “avec des noms anglais”.
Nous n’allons pas nous étendre outre mesure sur la première accusation qui tient d’autant moins que, souvent, si nos variétés sont distribuées par d’autres, c’est que nous-mêmes les avons introduites en France – une fois; ou bien encore, disséminées ! Par exemple, la Barbaniaka (une tomate-cerise extrêmement résistante) que nous avons reçue en 1993 du Jardin Botanique de Tapiozele en Hongrie. A cette époque, quels étaient les flambeaux de la “diversité tomate” en France en sus de Terre de Semences ? Seulement la Ferme Ste Marthe et Philippe Baumaux qui avait, lui-même, quelques soucis avec le GNIS suite au virus “biodiversité” que lui avaient transmis les jardiniers collectionneurs, Victor Renaud, Jean-Baptiste et Nicole Prades, Jean et Colette Achard, Pierre Bourgois, Gérard Brossette, André Hatesse, etc. Et quelques années plus tard, le Prince Jardinier, Louis-Albert de Broglie, établissait son Jardin Conservatoire de la Bourdaisière avec la collection de tomates de Terre de Semences. C’est ainsi notre grand plaisir d’avoir inspiré, subséquemment, de très nombreux acteurs passionnés par la commercialisation de la biodiversité… et d’avoir ouvert, sur le plan juridique, par l’exemple de notre désobéissance civile, un énorme tunnel en lequel une pléthore d’autres nouveaux acteurs sont en train de s’engouffrer – allègrement.
Quelles sont donc les origines de notre gamme de tomates ? Diverses et variées. Tout d’abord, les collections des jardiniers-collectionneurs sus-cités qui recevaient des variétés potagères de la planète entière et qui oeuvraient avec des aristocrates épris de biodiversité (Château de St Jean de Beauregard, Château de Courson, etc…) à la dissémination de ces trésors de ressources génétiques. Ensuite, certains jardins botaniques de l’Europe de l’est qui oeuvraient “en open source”, au contraire des banques nationales de semences des pays de l’Europe de l’ouest (au service des industriels de la semence). Ensuite, certains réseaux US qui avaient, à cette époque, 20 années d’avance sur la France : Abundant Life Seed Foundation, Native Seeds, Seed Savers Exchange, Peace Seeds…
Ce qui nous amène au sujet brûlant des variétés de tomates “avec des noms anglais” ! Pourquoi ont-elles des noms anglais ? Pour les raisons suivantes :
– ou bien ce sont des variétés anciennes créées par des obtenteurs US, telle la grosse vingtaine de variétés créées vers 1895/1905 par Alexander Livingston : “Livingston’s favourite”, “Stone”, “Lutescent”, “Paragon”, “Livingston’s Gold Ball”, “Perfection”, etc.
– ou bien ce sont des variétés traditionnelles “familiales” qui ont été renommées et donc anglicisées après avoir été transmises par des émigrants Européens (ou Asiatiques) et cultivées pendant des générations sur le territoire US. Ces variétés sont arrivées avec des jardiniers/jardinières Polonais, Italiens, Allemands, Français, etc. “Berkshire Polish” de Pologne, “German Head” d’Allemagne, “Podland Pink” de Pologne, “Martino’s Roma d’Italie”, “Omar’s Lebanese” du Liban, “Polish Linguisa” de Pologne, “Ropreco Paste” d’Italie, “Eva’s Purple Ball” d’Allemagne, etc.
– ou bien ce sont des variétés collectées lors des quelques voyages organisés par Kent Whealy (le fondateur du Seed Savers Exchange) dans les années 1990 dans les pays de l’ancienne URSS et qui ont été renommées : “Black Krim”, “Black Prince”, “Black from Tula”, “Silvery Fir Tree”, “Russian Lemon”, “Amber”…
– ou bien ce sont des variétés récentes créées, aux USA, par des obtenteurs géniaux ou des jardiniers amateurs passionnés : “Geranium Kiss”, “Banana Legs”, “Striped Roman”, “Red Centiflor Hypertress”, “Orange Centiflor Hypertress”… Et on ne peut que répéter que cette innovation variétale est complètement inexistante en France, par exemple, de par le carcan administratif mis en place par le GNIS, depuis 1941, et de par la destruction du domaine public mise en place par l’industrie semencière.
Un mélange de couleurs, de saveurs… et d’appellations non contrôlées
Nous sommes fort conscients qu’il règne, parfois, beaucoup de poésie dans les appellations de certaines variétés potagères disséminées par les divers réseaux planétaires dont la mission est de préserver ce que l’industrie semencière n’a pas encore saccagé ou séquestré dans ses morgues glaciales. Et un peu/beaucoup de poésie ne peut être que la bienvenue dans ce monde cancérisé par les psychopathes criminels de l’agrochimie.
Il arrive ainsi que certaines variétés soient distribuées sous des noms différents. C’est le cas, par exemple, de la Noire de Coseboeuf (introduite par la Ferme Ste Marthe) qui serait, en fait, la Purple Calabash (issue de la banque de semences du l’USDA Texas, accession PI 290857). Et même si ce n’est pas très grave – le principal étant qu’elles soient distribuées – nous avons tenté, néanmoins, depuis plus de 20 années, d’être, autant que faire se peut, très précis quant aux diverses appellations portées par une variété donnée. De plus, l’origine de la plupart de nos variétés de tomates est strictement spécifiée, ainsi que l’année de leur introduction, ou début de dissémination, et ainsi que les variétés dont elles sont issues par croisements lorsque nous les connaissons.
Nous avons également le cas, par exemple, des tomates noires qui, pour la grande majorité, sont d’origine Russe. Ou même de tomates d’autres couleurs issues également de la biodiversité Russe. Il est clair que leurs noms d’origine ont été traduits en anglais de par le fait que c’est Kent Whealy qui les a surtout fait connaître au monde Occidental avec le Seed Savers Exchange. “Yaponskiy Trufel Chernyi” a été traduit par Japanese Black Trifele ; “Cherny Mavr” par Black Mauri ; “Sosulka Chernaya” par Black Icicle ; “Sleevuhvidnaya” par Russian Lemon ; “Choodo-Svyeta” par Wonder of Light. Il arrive aussi parfois que les noms d’origine soient conservés tels que “Zarianka” qui signifie Lever de Soleil ; “Ispolin” qui signifie Géant ; “Siniy” qui signifie Bleu, “Zarnitsa” qui signifie Eclair d’été, etc.
Nous avons aussi le cas de variétés issues d’Europe de l’est dont le nom imprononçable a été adouci, tel que “Stupice” pour les diverses lignées “Stupické skleníkové” et “Stupické polní”.
Et puis, nous avons le cas des variétés dont le nom est plus évocateur en Français et dont la traduction de l’anglais est quasiment inévitable. Par exemple, en 1994, nous avons introduit la nouvelle variété de Tom Wagner “Green Grape” que nous avons ensuite proposée sous le nom de “Raisin Vert”. Parfois, nous préférons garder deux noms sur le sachet, par exemple “Black Cherry/Cerise Noire” introduite par feu Vince Sapp en 2003 aux USA.
Et nous avons aussi les cas nombreux de ces anciennes variétés françaises telle que “Casaque Rouge” qui est en fait la “Red Jacket” introduite aux USA en 1947.
Du concept moderne d’ancienneté
La Tomate fait partie de la famille des Solanacées et, depuis quelques années, le genre qui lui était attribué, Lycopersicon, a été réintégré au genre Solanum (comprenant plus de 1700 espèces). Lycopersicon n’est plus qu’une section (comprenant une grosse douzaine d’espèces) au sein du genre Solanum. Les solanums sauvages à l’origine de la tomate “domestiquée” sont tous issus de l’Amérique latine. A ce jour, il n’existe aucune certitude quant au berceau d’origine de la domestication des tomates : pour certains, c’est l’Amérique Latine et pour d’autres, c’est la Méso-Amérique. Quant aux processus de domestication de la tomate, comme de toutes les autres plantes potagères ou céréalières, certains évoquent l’évolution, d’autres le don des divinités, d’autres des mutations bénéfiques, d’autres encore une co-évolution dans le monde de l’éthérique (c’est la vision du plus grand obtenteur de tous les temps, le Californien Luther Burbank). C’est un autre sujet mais ce qui est possible, c’est que l’antiquité des tomates puisse remonter aux débuts de l’agriculture dans les Amériques Latines – à savoir un certain nombre de milliers d’années.
Ce qui est certain, c’est que les premières variétés de tomates introduites en Europe, les Pommes d’Or, (de couleur jaune-orange) se caractérisaient déjà par de gros fruits. Les tomates ont eu quelques peines à se répandre dans certains pays d’Europe, au fil des siècles. En France, l’édition 1904 du Jardin Potager de Vilmorin-Andrieux ne décline qu’une petite quarantaine de variétés, dont une partie porte des noms anglais et est issue des USA. Aux USA, une étude réalisée par l’Université Agricole du Michigan met en valeur, dans les années 1880, que les 171 variétés de tomates nommées, dans les catalogues commerciaux, ne représentent, en fait, que 61 lignées différentes avec une base génétique très proche.
De nos jours, le Seed Savers Exchange, dans l’Iowa, possède quelque 5000 variétés de tomates dans ses congélateurs – ou du moins dans les congélateurs de la morgue glaciale de Monsanto/Syngenta/Bill Gates à Svalbard en Norvège, depuis l’éviction de son fondateur Kent Whealy en 2008 (et nous reviendrons sur ce sujet glacialement brûlant dans un article subséquent). La banque nationale des USA contiendrait quelque 10 000 variétés de tomates. La banque de donnée sur internet de Tatiana (4) au Canada décline et décrit quelque 4800 variétés de tomates dont une grande partie sont cultivées dans ses jardins. Il est bien clair que la tomate se prête à une innovation variétale plus que généreuse. Nous ne parlons pas ici, bien évidemment, de la tomate industrielle dont les plus de 400 variétés (hybrides F1 à 99,5%) présentées dans le catalogue du GNIS ne sont que de piètres répliquas, sans saveur, les unes des autres. De plus, la base génétique de ces variétés handicapées est extrêmement réduite – ce qui explique pourquoi leur durée de vie ne dépasse pas souvent quelques années car elles faillissent misérablement, sur le plan des résistances, dans les champs de la mort pesticidée.
D’ailleurs, à ce sujet, on nous annonce une toute nouvelle révolution transgénique (5) qui promet par la chimérisation des variétés de tomates hybrides F1 de retrouver un fruit “perdu”, la tomate, dont l’industrie est accusée d’avoir saboté la saveur – alors que chez Kokopelli, nous en avons des centaines de tomates, toutes plus savoureuses les unes que les autres !! Nous avons bien lu : l’industrie semencière est accusée d’avoir saboté la saveur des tomates mais des chercheurs génialement déments vont sauver notre matrimoine génétique en créant des tomates transgéniques non seulement archi-savoureuses mais, bien sûr, résistantes à tout… à la sécheresse, à la salinité, aux vilains virus, au refroidissement climatique global (induit bien évidemment par le réchauffement climatique anthropique), aux effets de la radioactivité de Fukushima (par incorporation de gènes de gueule de loup pour créer de l’anthocyane-antioxydant), etc, etc.
La diversité des tomates sur la planète est absolument incroyable, tant sur le plan des formes, des couleurs, des saveurs… et même des résiliences. Lorsque nous avons créé notre banque de semences Annadana à Auroville, dans le Tamil Nadu en Inde, en 2000, nous avons vu des tomates prospérer dans des canyons désertiques de la région ne recevant pas une seule goutte d’eau du ciel. A contrario, la variété Nagcarlang (qui est plutôt une population) croit aux Philippines avec une pluviométrie de 2,50 mètres ! Et tout comme pour les amaranthes à grains (issues de la biodiversité des Amériques Latines) présentes dans les Himalayas depuis au moins deux mille ans, personne ne pourrait s’avancer, aujourd’hui, à supputer l’antiquité des maïs et des piments en Asie ou l’antiquité de cette tomate Nagcarlang dans les Philippines.
Tout cela étant dit pour remettre dans une juste perspective le concept “d’anciennes variétés”. Aujourd’hui, sur cette planète, quelle est l’Autorité (auto-proclamée, comme la grande majorité des Autorités) universitaire, agronomique, historique ou autre qui se permettra de décréter l’antiquité minimale qualifiant une variété de tomate “d’ancienne” : 2000 ans, 200 ans ou bien 20 ans ?
Depuis 1992, nous affirmons avec force qu’il ne sert à rien de protéger la biodiversité alimentaire si nous n’avons pas la liberté sociale de la cultiver – et de la cuisiner. C’est pourquoi nous exigeons que toutes les variétés en pollinisation ouverte du domaine public soient exclues de toute législation européenne ou internationale. Qu’elles soient anciennes, ou prétendues telles, ou qu’elles soient modernes.
Il est, d’ailleurs, proprement scandaleux qu’une organisation telle que ProSpeciesRara, dont la mission serait de préserver la biodiversité alimentaire traditionnelle Suisse, ait recours à de telles aberrations sémantiques pour se faire distribuer, en plus, chez IKEA (6). « Ça coule de source ? Par le passé, oui, aujourd’hui non, puisque les variétés modernes sont le produit de l’hybridation de deux parents très différents et très typés génétiquement et que les générations ultérieures ne conservent pas les caractères de la variété. »
Les hybrides de tomates n’ont rien de “modernes”. Burpee introduisit le premier hybride F1 de tomate aux USA en 1945. Il faudrait d’ailleurs se garder de parler de “variétés” lorsque l’on parle d’hybrides F1 car ces hybrides F1, commercialisés par les compagnies semencières, sont tout sauf variés : ils ne produisent que des plantes uniformes qui sont quasiment des clones. Mais il y a fort à faire pour démonter toute la sémantique pernicieuse des délires agronomiques biocidaires prévalant depuis 1925.
A contrario, les variétés créées depuis 20 ans par Tom Wagner, Alan Kapuler, Lee Goodwin, etc, aux USA, n’ont rien “d’anciennes” ou de “traditionnelles” – ou du moins, elles restent traditionnelles de par leur caractéristique “de pollinisation ouverte” qui fut le processus de sélection variétale traditionnel depuis l’émergence de l’agriculture – et ce, jusqu’à la mondialisation du marché captif des hybrides F1 et des chimères génétiques.
Délires du GNIS et Turpitudes de l’industrie semencière
En 1997, sur le loufoque “Registre de variétés anciennes pour jardiniers amateurs” du GNIS, on trouve des variétés de Tom Wagner, telle que Green Zebra qui, introduite seulement en 1983, ne répondait pas même aux critères d’inscription dans ce catalogue. Aujourd’hui, ce catalogue est devenu une liste de “variétés sans valeur intrinsèque” (9) et il est pathétique de voir, dans la colonne “obtenteur et responsable” (de la version écrite ou sur la base de données du Catalogue Européen en ligne) (10), le CTPS, ou Graines Baumaux ou les Croqueurs de Carottes (Germinance, Biau Germe, Graines del Pais, Semailles et Ferme Ste Marthe Production) en face de variétés créées par Tom Wagner ou en face de variétés de famille (“heirlooms”) disséminées par le Seed Savers Exchange aux USA. Obtenteur de quoi ? Responsable de quoi ? De variétés avec valeur “extrinsèque” parce que dans le domaine public ? Nous reposons une nouvelle fois notre question : à quand la dissolution de cet organisme parasite qu’est le GNIS ?
Aujourd’hui, lorsque nous ouvrons le catalogue de la Ferme Ste Marthe – créée par Philippe Desbrosses qui l’a vendue, en 2001, à la société Graines Voltz qui l’a revendue, en juillet 2006, (12) au bulbier Ernest Turc – (13) (8), nous apprenons que cette entreprise semencière s’est auto-proclamée en charge de la maintenance de 74 tomates. Selon leur mots : « La maintenance des variétés permet de continuer à produire et distribuer des variétés non inscrites, radiées ou oubliées afin d’en assurer la pérennité et la stabilité dans le temps ». Sans plaisanter ? Mais franchement, la Ferme Ste Marthe a t-elle demandé à Tom Wagner s’il était d’accord que leur entreprise semencière soit en charge de la “maintenance” pour l’Europe de ses variétés : Green Grape, Green Zebra, Chile Verde, Vintage Wine /Brandystripe ? A t-elle demandé au Professeur Bagget d’OSU (Université d’Oregon) si sa variété Gold Nugget avait besoin d’une maintenance ? Idem à la famille Sapp de Tomato Growers Supply pour la variété Black Cherry ? Idem à Jeff Dawson de Grandview Farms Tomato Seeds pour la variété Black Zebra sélectionnée à partir d’une mutation spontanée de Green Zebra ? Idem à Jeff Casey au Canada pour la variété Green Doctors Frosted issue d’une mutation spontanée récente (de l’épiderme) de la variété Green Doctors elle-même issue d’une mutation spontanée de la variété Dr. Carolyn ?
Nous pourrions bien évidemment poser la même question à Graines Baumaux ou aux Serres de Chanteloup : de quel droit vous êtes-vous auto-proclamés mainteneur de variétés de Tom Wagner telles que Banana Legs, Lime Green Salad (transformée en Salade Vert Lime), etc.
De quel droit les Serres de Chanteloup se sont-elles autoproclamées le mainteneur d’une mutation, Berkeley Tie-Dye, découverte par Bradley Gates de Wild Boar Farm en Californie dont nous présentons des variétés récentes indigo et bigarrées ; ou encore le mainteneur de la variété Blue P20 du Professeur Jim Myers de OSU (Université de l’Oregon) qui a dû justement protéger juridiquement sa nouvelle variété Indigo Rose (11) pour qu’elle ne soit pas piratée par une compagnie semencière peu scrupuleuse ? La preuve par la Société Graine Baumaux qui dépose une marque à l’INPI, “latomatebleue Baumaux” sur cette variété protégée par un COV. Une fois de plus, Philippe Baumaux rejoint, en faisant preuve de beaucoup d’humour, les rangs de la désobéissance civile !!
Et d’ailleurs, suite à la publication de ce présent article, Tom Wagner vient juste de me préciser, dans une communication privée, que, selon lui – et parce qu’il a reproduit des semences de ces trois lignées – il n’existerait aucune différence entre Indigo Rose, Blue P20 et Blue P20-3-1. Ce qui signifierait que Philippe Baumaux a enregistré une marque déposée sur une variété protégée par un Certificat d’Obtention Végétale (Indigo Rose) et que la même variété est enregistrée, sur la liste GNIS de “variétés sans valeur intrinsèque”, et donc aussi sur le Catalogue Européen, par les Serres de Chanteloup, sous le nom “Bleue P20”. Une situation pour le moins cocasse… qui ne peut que filer le Blues de l’Indigo à certains obsédés de l’enregistrement!
Ce cirque prétentieux et mensonger de prétendue “obtention et maintenance” va t-il durer encore longtemps ?
En 2008, Rivière-Wekstein, l’un des bouffons et des laquais les plus virulents de l’agrochimie pesticidaire affirmait, en parlant du loufoque “Registre de variétés anciennes pour jardiniers amateurs” que « En inscrivant une variété, son “parrain” devient responsable de sa maintenance, ce qui n’est pas une affaire d’amateur ! ». Selon Wekstein, un autre grand humoriste, ce ne serait pas “une affaire d’amateur” de prendre la responsabilité de la “maintenance” de variétés qui ont été créées justement… par des amateurs !! Ou qui ont été cultivées pendant des générations par des familles de jardiniers qui ont confié leurs variétés au Seed Savers Exchange dans l’Iowa !! Par exemple, dans le registre des variétés sans valeur intrinsèque : German Red Strawberry, Aunt Ruby’s German Green, Dr. Wyche’s Yellow, Druzba, Basinga, Dutchman, Roman Candle, Aunt Gertie’s Gold, Box Car Willie, Green Doctors Frosted, etc, etc.
Ce concept de “maintenance” est d’autant plus une farce que dans le cas de la variété Green Zebra, par exemple, personne à part Tom Wagner lui-même ne connaît le phénotype originel (et original) de cette tomate qu’il a introduite en 1983. (1) En effet, Tom fut fort étonné de découvrir en 2009, en France, une Green Zebra qui n’avait plus rien à voir avec sa tomate originelle. L’élaboration de la Green Zebra lui a demandé une dizaine d’années d’efforts laborieux impliquant les croisements de 4 variétés “anciennes” datant des années 40/50 (dont la verte Evergreen) et de multiples sélections pour arriver à une tomate – à chair verte et à l’épiderme zébré à 60% – choisie parmi de nombreuses lignées allant de 5% à 80% de zébrures.
Aujourd’hui Kokopelli propose une “Green Zebra”, une “Green Zebra Arizona Hawai Strain”, une “Woolly Green Zebra” (avec peau duveteuse), une “Blue Green Zebra” (avec anthocyanes), une “Musk Zebra” (très précoce) en sus des cousines qui en sont directement issues : “Luckhenbach Zebra” (une tomate-cerise zébrée), “Cote d’Zebra” (avec une chair orange), “Sirloin of Zebra” (avec une chair rouge/verte)… toutes créations récentes de Tom Wagner qui joue en permanence avec des centaines de lignées… en cours de “stabilisation” – ce qui est un concept tout à fait relatif pour ne pas dire farceur lorsque l’on voit l’évolution, par exemple, de la Green Zebra en fonction des divers semenciers/jardiniers/maraîchers qui l’ont reproduite, depuis trente années, et qui ont privilégié tel ou tel paramètre en fonction de leurs souhaits, caprices, ou conditions prévalentes dans leur biotope.
Les variétés plus anciennes de Tom Wagner sont, d’ailleurs, allègrement commercialisées par les chaînes de supermarchés, depuis de nombreuses années, qui n’ont aucun scrupule à faire de l’argent avec des “variétés sans valeur intrinsèque” strictement réservées à l’usage amateur – du moins selon la législation Française “en vigueur”. Pour paraphraser M. Burgaud, le communicateur du GNIS, comment se fait-il donc que l’Etat Français ne poursuive pas ces supermarchés qui bafouent, en toute impunité, la législation française ?
En effet, depuis l’étrange visite en nos locaux, en décembre 2013, des services de la Répression des Fraudes, lesquels prétendaient réaliser une “enquête nationale sur la tomate”, nous nous sommes penchés, encore un peu plus, sur les pratiques de la grande et moyenne distribution et, entre autres, sur la problématique de ce que l’on appelle les “fausses tomates anciennes”. L’industrie semencière – qui n’est pas prête à céder la plus petite part de marché qui soit – entend bien surfer sur cette vague nouvelle “des anciennes variétés”. Comment s’y prend-elle, avec la complicité de nos chers distributeurs, grands et petits, bios et non bios ?
D’une part, elle met donc sur le marché – à l’attention des agriculteurs professionnels – soit des semences de variétés anciennes non inscrites au Catalogue Officiel, c’est-à-dire non autorisées à la vente, soit des semences de variétés anciennes appartenant au domaine public mais autorisées à être vendues seulement aux jardiniers amateurs ; tout cela au nez et à la barbe des autorités, qui ne trouvent rien à y redire. La société Graines Voltz, comme beaucoup d’autres acteurs majeurs de l’industrie semenciere, inclut ainsi dans son catalogue pour “professionnels” une gamme de variétés de tomates sans valeur intrinsèque avec un petit astérix précisant que ce sont des variétés “réservées à l’usage amateur”.
D’autre part, et c’est le pire, l’industrie semencière met sur le marché des variétés modernes aux apparences de variétés anciennes ! Ces tomates sont de vulgaires hybrides F1 insipides, mais cela a l’avantage, pour elle-même, d’interdire, en pratique, aux agriculteurs de multiplier la semence et les oblige ainsi à se réapprovisionner auprès d’elle chaque année. Le consommateur, trompé par les fausses indications des distributeurs, n’y voit que du feu! La vérité, toutefois, commence à se faire jour…
La société Gautier Semences est passée maître en la matière, et elle inonde l’Europe entière de ses fausses variétés anciennes de tomates, qualifiées de tomates de “diversification” (2) : la tomate Marmande est ainsi devenue, dans le catalogue commercial des semences proposées à la vente par cette société, un hybride F1 du nom de Rafati DCM 80, décrite, toutefois, comme possédant « l’authentique saveur de la Marmande »… ou bien encore un hybride F1 du nom de Marbonne, soigneusement qualifié de « Marmande pour cultures longues ». Le Cœur de Bœuf est devenu un hybride F1 du nom de Borsalina DCP 81, soigneusement qualifié de « tomate cœur de bœuf »… ou bien encore un hybride F1 du nom de Cauralina, soigneusement qualifié de « 1er hybride en forme de cœur ». La société Gautier Semences a introduit des tomates “noires” – Kakao, Ebeno et Marnero (qui serait une Marmande noire) ; une tomate “ananas” – Margold (qui serait une Marmande Ananas) ; et des simulacres des variétés striées de Tom Wagner – Timenta, Tirouge, Tiverta. Toutes variétés hybrides F1 – marché captif oblige.
Quant à la société Vilmorin/Limagrain, elle s’est attaquée à dénaturer la Cornue des Andes pour la transformer en hybride F1 dit Cornabel, soigneusement qualifié de « Cornue des Andes indéterminée pour récolte vrac ». Et, elle aussi, présente une Marmande dénaturée, à savoir un hybride F1 appelé Rebelion, soigneusement qualifié de « Marmande hybride ».
C’est comme cela que nous avons vu fleurir – sur les étals de nos marchés, supermarchés, magasins diététiques, Satoriz et Biocoops – une infinité de fausses variétés anciennes qui empruntent pourtant, en toute tromperie pour le consommateur – souvent désireux de donner un coup de pouce à la conservation du patrimoine semencier de nos ancêtres, proches et lointains, et en quête de saveurs meilleures – les noms évocateurs de nos variétés anciennes et parfois même moins anciennes (dans le cas du remplacement systématique des variétés de Tom par des hybrides dénaturés). Car la grande distribution ne vend pas une tomate Rafati DCM 80 ; non, elle vend une tomate Marmande. Elle ne vend pas une tomate Borsalina DCP 81, non, elle vend une tomate coeur de boeuf… de sorte à dégoûter à jamais les consommateurs de manger de la tomate coeur de boeuf – surtout s’ils doivent payer plus du cher au kilo… au titre de la diversification !
L’an passé, nous avons acheté des fausses anciennes tomates noires au magasin Satoriz de Nîmes et les avons placées bien en vue sur une étagère, dans la maison : cinq semaines plus tard, elles n’avaient pas évolué d’un iota, la preuve de leur nature de “long life”. Est-ce du “long life” généré par méthodes “conventionnelles” , par “mutagenèse” ou “autre” ???
Chez Kokopelli : une nouvelle gamme de tomates très récentes et en pollinisation ouverte
Chez Kokopelli, c’est notre grand plaisir de rendre hommage à ces créateurs géniaux de variétés de tomates qui oeuvrent pour le domaine public, qui ne sont subventionnés par personne et qui travaillent dans l’incognito le plus total.
C’est parce que nous avons le plus grand respect pour le travail innovateur de Tom Wagner (7) (tant sur le plan des couleurs que des saveurs ou des résiliences) que nous avons organisé une tournée de séminaires pour lui en Europe durant l’automne 2009 – et que nous envisageons l’organisation d’une seconde tournée dans un proche futur. C’est parce que nous sommes immensément reconnaissants pour son travail innovateur au service du domaine public que nous avons décidé, cette année de lui apporter un soutien financier. Tout comme nous en apporté un, l’an passé, à cet autre innovateur génial, Mushroom (Alan Kapuler) de Peace Seeds, en Oregon, dont les variétés de maïs doux, de tomates, de tournesols… font la joie des jardiniers et des jardinières.
Pour la saison 2015, nous introduisons une quarantaine de variétés nouvelles de Tom Wagner ainsi que des dizaines de variétés d’Alan Kapuler, de Lee Goodwin, de Brad Gate. Parmi ces nouvelles variétés, 21 variétés sont des variétés indigo, à teneur en anthocyanes.
Certaines de ces nouvelles variétés sont en cours de “stabilisation” – en fait, elles sont encore fluides et, d’ailleurs, certaines sont tellement intrinsèquement fluides qu’elles ne peuvent se résoudre à se stabiliser un jour. Chez Kokopelli, nous en avons, dans notre collection, qui semblent irrésistiblement attirées vers la Source. Même chez les tomates, il existe des libertaires irréductibles, des vagabondes… en quête de Sauvage.
Cette fluidité permet aux jardiniers/jardinières de pouvoir sélectionner dans ces lignées telle ou telle plante de tomate en fonction des couleurs, saveurs, périodes de maturité, résistances dans leur biotope local, etc. Cela veut dire aussi que les jardiniers/jardinières peuvent jouer à créer de nouvelles variétés ainsi que nous l’avons évoqué dans l’article précédent concernant les tomates indigo. Lors du déménagement de Kokopelli, nous avons retrouvé, au fond de congélateurs, des lignées sans nom de Tom Wagner que nous avions fait produire en France en 2009, à l’occasion de son passage, mais que nous n’avions jamais commercialisées. Nous en avons proposé une dizaine de lignées, avec juste des numéros, au printemps 2014. Et nous avons été fort étonnés de voir que des centaines de jardiniers se sont aventurés à les cultiver.
Car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit, l’aventure de la Vie qui est un flux perpétuel de gènes – et cela dure depuis quelques milliards d’années. Gageons que c’est une aventure qui va encore perdurer longtemps – si l’humanité accepte de revenir aux voies de la co-évolution avec toutes les forces de Vie de la biosphère.
Dominique Guillet. Le 4 décembre 2014.