La Bio Piratée, troisième épisode : Lima, Euronature et la “bio orgasmique” de Philippe Woitrin

La société Lima a été créée en 1957 par la famille Gevaert lors de l’émergence de l’épopée de la Macrobiotique promue, en France, par leur ami Georges Oshawa, un biologiste Japonais . En 1989, Lima fut vendue au groupe Français Euronature, créé en juin 1989 – qui racheta à l’époque quelques dizaines de sociétés de l’agro-alimentaire : Lima, Viver, Celnat (racheté en 1991), Superdiet (racheté en 1991), Godard et Muller, Reynaud, Bertram’s, etc. En 1992, trois années après sa création, ce groupe rassemble quelque quarante sociétés spécialisées dans les produits de la mer, dans le foie gras et ce que l’on appelle à l’époque “la diététique”. Son fondateur, Pierre Kreutz, est un ancien responsable de la diversification chez Bongrain (un leader Européen de l’industrie laitière) et possède 2% du capital d’Euronature (avec une société en commandite). Son associé est Jean-Marie Rochefort, ex-membre du cabinet d’avocats Berlioz. Parmi les porteurs de capital : la Financière Desmarais (10% du capital), GAN, Clinvest, MAAF, la Financière Indosuez – pour la partie Française – et ensuite le Belge Sofina, la Caisse d’Epargne de Belgique, le groupe immobilier Hollandais Janivo et des investisseurs Koweïtiens et Saoudiens… En 1992, le chiffre d’affaires d’Euronature est de 2 milliards de francs – dont 15% sont réalisés par ses 9 sociétés bios Françaises, Belges et Hollandaises restructurées autour des marques Viver, Lima et Celnat. A l’époque, Pierre Kreutz prétend être le N°2 de “la diététique” loin derrière… Sandoz. (Sandoz et Ciba-Geigy ont fusionné, en 1996, pour créer Novartis et Novartis a fusionné, en 2000, avec AstraZeneca pour créer Syngenta).

En août 1992, Pierre Kreutz, selon le journal Les Echos, annonce vouloir procéder à quelques autres petits achats avant de s’attaquer à l’Allemagne et l’Italie. Il déclare viser les 5 milliards de francs avant la fin du siècle. Pierre Kreutz est un mégalomane, tout comme Irwin David Simon, et son petit empire bio – fondé sur des bulles financières (tout comme celui de l’Empire Céleste de Hain Celestial) – s’échoue très rapidement sur les falaises du Réel. Le groupe Euronature est mis en liquidation financière, en 1995, et l’on en retrouve encore des traces (1), en novembre 2010, dans un rapport de la Cour des Comptes (référé n° 59571) concernant le dossier célèbre du Crédit Lyonnais (Adidas, MGM, Comipar Pallas Stern, IBSA, Executive Life). Lors de la faillite d’Euronature, c’est le cabinet d’avocats Orrick Rambaud Martel qui apporta alors son soutien au Crédit Lyonnais.

Suite à cette liquidation financière, la famille Celle rachète le capital de Celnat ; Viva Santé rachète Superdiet (c’est ce même groupe de parapharmacie, Viva Santé, qui rachète Danival en 2000 et qui le revendra à Lima/Hain en 2011). Et Lima est racheté par le groupe La Saga (Nonkels, Reform Waren) de Philippe Woitrin, un joueur de poker “bio”.

En 1998, Philippe Woitrin (avec Philippe Starck, célèbre designer et architecte français, et l’ex-agence publicitaire française LHHS, rebaptisée Air) lance OAO/WSL, une société de produits biologiques certifiés dont le siège est à Bruxelles. OAO pour “Organic and Orgasmic”. L’objectif est de vendre des produits bios et “sexys”, à la classe moyenne argentée, dans certains magasins en Europe (Conran Shop, Galeries Lafayette, Monoprix, Naturalia, Sainsbury, Tesco, Globus, Konmar), aux Etats-Unis (Super Target) et à Tokyo (Conran Shop). Philippe Woitrin ambitionne un partenariat avec la chaîne de magasins Seibu, le haut de gamme de l’alimentaire nippon. En bref, Philippe Woitrin – tout comme son grand patron actuel Irwin David Simon – va révolutionner la distribution de produits bios avec ses “Orgasmiques”. Quelques années plus tard, la bulle du bio orgasmique éclate et Michel Crespin (un ancien des filtres Melvita et de Lima) quitte la direction de la société en décembre 2001 pour prendre la direction marketing chez Hain Celestial Europe. Personne n’entend plus alors parler de révolution bio orgasmique – qui était supposée supplanter la bio non-orgasmique.

En 1999, Philippe Woitrin vend 50% des actions de Bioservice (sa centrale de distribution de produits bios et diététiques avec plus de 600 clients détaillants et 5500 références) à Natudis. En avril 2001, il vend la totalité de Bioservice à Natudis (Molenaartje, Ekoland, Vetara, etc) qui, elle-même, s’est fait racheter 40% de son capital, quelques jours auparavant, par Royal Wessanen, l’un des plus gros groupes Européens de l’Agro-alimentaire, qui a racheté le Français Distriborg en juin 2000.

En mai 2000, Philippe Woitrin est en voyage au Pérou pour tenter d’établir une filière d’approvisionnement en coton biologique. Au titre de la diversification. A ce même titre, il tente de se rapprocher de groupes de producteurs de fruits et légumes en Bretagne et dans les Pays de Loire et dans le nord ainsi que de producteurs de céréales et de produits secs dans le Massif Central. Ne rencontrant pas de succès en France, il se reporte sur le frais Belge.

Philippe Woitrin investit, en 2000, dans le capital du Belge Biomarché (créé en 1987). Le Biomarché est une société coopérative, grossiste en fruits et légumes bios, qui est le fournisseur quasi exclusif de produits frais bios pour les 350 magasins des enseignes Delhaize et Match du groupe Delhaize, en Belgique (en 1999, le groupe Delhaize contrôle près de 30% du chiffre d’affaires des produits bios en Belgique). C’est l’un des fondateurs de Biomarché, Philippe Pluquet, qui en est la cheville ouvrière et l’actionnaire principal. Entre 1987 et 2000, la petite coopérative est passée de 8 millions à 300 millions de chiffre d’affaire. La coopérative a besoin de financements pour faire face à une croissance exponentielle (et pour offrir à ses 25 salariés des conditions de travail moins exiguës) et c’est alors que Philippe Woitrin intervient – qui a flairé une bonne affaire. Philippe Woitrin va externaliser le service ventes, développer les produits transformés et Philippe Pluquet en viendra à perdre la maîtrise de son outil de travail et ses actions dans la coopérative. Philippe Woitrin n’est, en fait, pas du tout intéressé par le secteur des produits frais et il revend Biomarché, en août 2006, à un autre joueur de poker bio, M. de Passis, le co-propriétaire de ProNatura (sa société est à 51% sous le contrôle d’Activa Capital) et BioMarché devient ProNatura-Belgique. ProNatura (5) (6) devient alors, avec ce rachat, le leader Européen de fruits et légumes bios. Mais, en 2008, ProNatura Belgique perd son gros client Belge, le groupe Delhaize (qui se tourne vers la Hollande). ProNatura-Belgique est alors liquidé financièrement, en 2010, et licencie une cinquantaine de salariés.

Philippe Woitrin, fin 2001, revend l’intégralité de Lima à Hain Celestial aux USA et devient le directeur de Hain Celestial Europe. Dans la gamme de produits de Hain Celestial, figurent en bonne place les tisanes non-bios de Celestial Seasonings (farcies de pesticides (7), selon le rapport du Glaucus Research) qui sont distribuées en France par T-France (2) dans divers points de vente de la région parisienne (entre autres les Auchamp de Vélizy et de Taverny).

En janvier 2014, Philippe Woitrin cède sa place de directeur général de Hain Celestial Europe et en devient le “Non Executive Chairman”. Le directeur est maintenant Bart Dobbelaere. C’est un ancien du Groupe Campofrío – racheté par le Mexicain Sigma et le Chinois Shuanghui International – détenteur des marques Aoste, Justin Bridou et Cochonou. Bart Dobbelaere est également un ancien du Groupe Vandemoortele qui a créé la société Alpro, en 1980, spécialisée dans les produits à base de soja bio (Provamel) et non bio. Pour mémoire, Alpro fut revendu en 2009, pour 455 millions de dollars, à Dean Foods, le leader mondial de la distribution de lait qui contrôle 90% du lait aux USA (dont la société de lait bio Horizon).

Bart Dobbelaere (3) est donc maintenant le directeur général de Lima/Hain Celestial Europe. Ce n’est qu’un changement de têtes dans la grande famille des mégalomanes de la bio et du “Naturel”. Et d’ailleurs, sur le site de Hain Celestial Europe, Bart Dobbelaere déclare que les tisanes de Celestial Seasonings sont « garanties naturelles et saines »… , tout comme la gamme de confitures “Hartley’s” (non bios), tout comme la gamme de confitures “Frank Cooper’s” (non bios), tout comme la gamme de confitures Robertson’s (non bios), tout comme la gamme de chips “Terra” (non bios) et tout comme la gamme de produits “Dream” (4) à base de soja – une gamme de produits en grande majorité non-bios. Faut-il bien repréciser que “non bio”, dans le monde de l’agriculture moderne, signifie “toxique” ? Il est vrai que, la main sur le coeur, le soja US de l’Empire Hain Celestial est garanti non-ogm,  ce qui veut dire garanti ogm entre 0 et 1%.

Et par qui donc toutes ces gammes sont-elles « garanties naturelles et saines » ? Par Irwin David Simon, le fondateur de Hain Celestial aux USA. Un cas avéré d’auto-certification malsaine par l’industrie alimentaire pesticidée.

Et que dit le Réseau Biocoop ? Il s’en remet à la bonne “foi” de Irwin David Simon. Un cas avéré de visualisation très positive… et “céleste”.

Dominique Guillet. Le 31 décembre 2014.