Kokopelli / HomeGrown Goodness

De tous temps, les jardiniers ont échangé des idées et des semences. Mais il se construit aujourd’hui des réseaux qui prennent une toute autre allure. La perte de la diversité génétique, alliée à la formidable capacité de communication que nous permet le web, sont à l’origine de plus en plus de réseaux qui sont plus que de simples véhicules d’échanges de variétés mais de véritables réseaux de travail commun international et de préservation et création variétale assistées. Lorsqu’Alan Bishop a créé Homegrown Goodness, un forum pour les fermiers et jardiniers compétents, les hybrideurs et autres chercheurs des plantes, son rêve était que les rencontres virtuelles prennent un jour un tournant concret dans la vie des gens. Et voilà que cette année, grâce à quelques membres d’un petit mais merveilleux forum français, Tomodori, des nords américains et des européens ont décidé de se visiter. Mais hélas, pas beaucoup de sous. Kokopelli, avec tout son réseau et ses moyens, est venu à la rescousse, et entre les 10 septembre et 26 octobre, Tom Wagner, probablement le plus célèbre créateur variétal sur la planète, visitera plusieurs pays, accompagné par Alan Bishop, fondateur de Homegrown Goodness mais lui aussi un jeune créateur variétal avec plusieurs réalisations à son actif. J’aurai le plaisir de les accompagner et d’être leur traducteur. Ce que nous désirons profondément de ce voyage, c’est qu’il nous permette de rencontrer des passionnés comme nous avec lesquels NOUS POURRONS TRAVAILLER, collaborer très activement.

Tom a dans ses coffres plus de 100 000 lignées de pommes de terre, issues de 56 ans de recherche en conditions bio ou quasi bio : les terres qu’il pouvait louer ne sont pas nécessairement certifiées bio, mais ses procédures le sont totalement, il s’agit toujours de produire des pommes de terres sans pesticides, naturellement résistantes. Il a aussi plus de 100 000 lignées de tomates. Tout cet héritage s’éteindra avec lui si nous ne le partageons pas. Il est primordial que nous puissions à la fois disséminer cet extraordinaire héritage, le plus vaste au monde, MAIS AUSSI DE CONTINUER À LE DÉVELOPPER. Toute cette richesse peut être adaptée à diverses conditions, ces souches multi-spécifiques (il y a bien plus que les Solanum tuberosum dans les pommes de terre de Tom) peuvent être poussées encore plus loin. Nous devons comprendre qu’il faudrait un autre laps de 56 ans pour remplacer tout ce travail, à condition en plus d’avoir le génie et l’intuition de Tom. Cette diversité, unique au monde, est tout-à-fait irremplaçable.

Mais même si le voyage de Tom en Europe semble consacré aux pommes de terres et tomates, il ne faut pas croire tout ce que l’on voit. Tom a exercé ses talents dans toutes les sphères du monde végétal. Il a atteint la célébrité avec ses tomates si différentes, qui ont inspiré une révolution “visuelle” du fruit, mais si son travail sur les pommes de terre (le plus important et satisfaisant selon lui) est aussi considérable, il a aussi travaillé avec les céréales comme les maïs et les blés et plein de légumes variés.

Ci-contre, Alan Bishop, 25 ans, fondateur d’Homegrown Goodness (voir aussi le forum alanbishop.proboards.com).

Alan Bishop, 25 ans, fondateur d’Homegrown Goodness
Alan Bishop, 25 ans, fondateur d’Homegrown Goodness

Alan Bishop, malgré son jeune âge, a déjà beaucoup de réalisations derrière la cravate. Alan est un fou de la diversité génétique, il travaille présentement sur une foule de maïs, de courges, de fraises, de tomates, de choux etc. Je travaille beaucoup avec Alan, principalement sur les maïs même si nous partageons tout, comme avec Tom d’ailleurs. Côté maïs, Alan travaille principalement sur la création d’une variété de maïs sucré multicolore, “Astronomy Domine”, qui sera sans doute la variété créée à partir du plus grand nombre de maïs doux anciens jamais vu. Il y en a plus de 150 dans le pool génétique actuel, lequel augmente à chaque année. Les semences de ce “work in progress” sont distribuées à travers la planète, et chacun peut ensuite sélectionner en fonction de ses besoins.

Personnellement, je travaille principalement sur les maïs nains. Les copains de Homegrown Goodness me font donc parvenir les semences des plus petits plants du “Astronomy Domine”. Je travaille aussi à évaluer une foule de maïs doux nains anciens. Le postulat est simple : un petit plant d’un mètre de haut tire moins d’azote du sol qu’un plant de deux ou trois mètres. Il y a donc un appauvrissement moindre… Mais cela va beaucoup plus loin. J’ai en ce moment en ma possession des maïs absolument délicieux, très sucrés, mais dont les plants sont si petits qu’ils permettent la pénétration de la lumière entre les rangs. Et c’est aussi ce travail sur la lumière qui est important. Pour régénérer l’azote, il est possible, cela se faisait beaucoup autrefois aux USA, de semer des haricots entre les plants de maïs, dans les rangées, les célèbres “cornfield beans”, mais avec les maïs nains, il est en plus possible de cultiver des plantes légumineuses entre les rangs, comme le trèfle rouge. Et comme ces maïs sont hâtifs, à l’automne, un semis de vesce commune qui sera retournée au printemps ou utilisée en paillis pour une autre récolte terminera le triple punch d’azote : haricots, trèfle, vesce. Et tout ça avec en plus un plant qui a moins vidé le sol.

Michel Lachaume oeuvre au Canada à la conservation du Melon de Lunéville
Michel Lachaume oeuvre au Canada à la conservation du Melon de Lunéville

En fait, ce travail sur la lumière s’est transporté dans les maïs pour animaux. Les Prés Bio/Organic Meadows, la plus grande coopérative laitière bio au Canada, m’assiste dans des travaux similaires. Le postulat de base est le même. Il y a suffisamment de maïs très productifs issus des Amérindiens (de loin les meilleurs maïs) pour permettre d’espérer des croisements qui aboutiront à des maïs à farine de plus petite taille. C’est l’amidon qui est recherché pour la production laitière, mais les plants les plus petits sont en général des maïs cornés. Je ne veux pas ici trop entrer dans les détails, mais disons qu’il y a déjà une foule de maïs anciens TRÈS PRODUCTIFS pour la volaille, le porc et les autres animaux de ferme. Une partie importante de notre travail, apparemment moins séduisante et intéressante que la création variétale, et j’insiste sur apparemment, est la mise en valeur de variétés rares issues des banques génétiques du monde entier. Si la création variétale m’excite beaucoup, force m’est d’admettre que j’ai découvert un monde d’une grande richesse en faisant des essais massifs de variétés inconnues, dans les melons, les courges, maïs, rutabaga, carottes, aubergines, et j’en passe.

Ce voyage sera pour moi un échec si je ne quitte pas l’Europe avec de nouveaux camarades prêts à m’aider à évaluer cette richesse. Certains parmi nous ont le privilège d’avoir accès aux banques génétiques, qui d’ailleurs s’appauvrissent comme une peau de chagrin, et je considère maintenant l’évaluation et le partage de ces richesses (et leur survie) comme mon devoir premier. À tous les passionnés européens, je dis merci pour votre travail, et j’espère de tout coeur pouvoir vous rencontrer.

 


Article rédigé par Michel Lachaume

Michel Lachaume