Le Monde est une Melonnière

Michel Lacaume

Michel Lachaume

D’aucuns les prétendent difficiles, disent que l’on ne peut produire de melons chez-eux, mais pourtant, “Petit Gris de Rennes” à l’appui, les meilleurs melons au monde ne connaissent rien des climats africains exotiques qui ont vu naître leurs ancêtres. Et nous sommes, nous occidentaux, fort loin d’avoir fini de découvrir leur extraordinaire richesse et leur diversité génétique.

Il fut un temps ou les institutions gouvernementales de nos pays se consacraient avec ardeur à la découverte de la bio-diversité. Des expéditions scientifiques parcouraient les coins les plus éloignés de la planète pour cueillir et ensuite conserver des exemplaires du patrimoine botanique et agricole mondial.

Ce fut l’âge d’or de la création des banques génétiques. Aujourd’hui, sous-financées, elles ne font malheureusement plus aussi efficacement ce travail d’exploration. Les priorités de nos gouvernements sont évidemment ailleurs, et la seconde source d’enrichissement de ces banques, à savoir les programmes nationaux de création variétale publics, a, de plus, soit passé l’arme à gauche, soit été investie par le complexe militaro-chimique qui mène une guerre sans merci à la biodiversité et à la liberté de semer, pourtant l’une des premières manifestations de la liberté d’expression de nos ancêtres en des temps plus rudes et supposément moins porteurs des idéaux démocratiques.

Mais puisqu’on y est, il importe de comprendre que ces banques renferment une mine de trésors qui, à défaut d’être mis en valeur, risquent de se perdre à jamais, sujets aux aléas des priorités budgétaires. Certaines des semences dans ces banques sont déjà très vieilles et n’ont pas été renouvellées. Je travaille actuellement avec du matériel vieux de 30 ans, et il y a pire… bien pire…

Melon aux Formes Rondes
Melon aux Formes Rondes

Il y a en ce moment 2282 accessions de melons sur le site de GRIN, la banque génétique américaine. Et bientôt une de plus, l’extraordinaire “Melon de Lunéville” y sera bientôt répertorié car ils ont accepté que j’y dépose des semences. En Allemagne, Gatersleben en compte maintenant 364 (mais il me semble pourtant que l’an dernier il y en avait plus de 430, ce qui n’est en rien pour me rassurer). Il y en a près d’une cinquantaine au Canada, la plupart issus des anciennes recherches sur les melons nordiques menées par Agriculture Canada dans les prairies canadiennes.

Une autre grande source en est sûrement le Vavilov Institute, en Russie, bien que je n’y aie pas accès. Les Russes ont fait un travail colossal sur les melons et bien d’autres espèces. Il n’y a aucun doute dans mon esprit, ils sont les créateurs variétaux hors catégorie du vingtième siècle. Pour eux, dans un système politique ignorant la propriété individuelle, il n’y avait aucune raison de mettre en marché des hybrides F1, une réalité qui ne s’explique que par des besoins mercantiles, certainement pas plus performante en terme de coût de revient d’un strict point de vue agricole ou alimentaire.

Pour mon projet d’évaluation de melons, j’ai acquis aux USA et en Allemagne plus de 500 melons, la plupart hâtifs pour cette première phase, mais aussi quelques-uns plus tardifs. La plupart des plus connus chez Kokopelli ou ailleurs en Europe y sont inclus, du moins les plus hâtifs d’entre eux.

Les débuts du projet

Melon Emerald Gem
Melon Emerald Gem

L’été dernier, j’avais prévu de commencer mes essais avec une centaine de cultivars, le temps de préparer mon sol pour une expansion future, mais un hiver incroyable, avec des quantités record de neige, allait changer tous mes plans… En avril 2008, au moment où je sème habituellement mes laitues, il y avait encore près de deux mètres de neige dans le potager. Il a fallu tout ré-évaluer. C’est donc une centaine de plants de plus de 40 cultivars de melons qui ont été mis en terre. Des Européens pour la plupart, les plus connus y étant presque tous…

Mon seul objectif : comme je suis un jardinier de la gueule, évaluer une foule de melons les uns aux côtés des autres, question goût, puis comparer leur productivité. Avec les melons, comme le vin, il y a des “cuvées”, les aléas du climat comptant pour beaucoup dans la saveur finale. Mais, suivant cet hiver record, un été pourri, le pire en soixante ans, une dizaine de jours où le soleil s’est pointé seulement, et des nuits de “canicule” en juillet aussi froides que certains jours d’hiver dans le nord de la France, autour de 4 à 8 degrés C°, et de la pluie tout le temps… Réchauffement climatique oblige !

Une année exécrable pour la production de melons, mais par contre, un pur cadeau du ciel, pour évaluer la résistance aux maladies, au manque d’ensoleillement, au froid et à la pluie. Il faut voir le verre à moitié plein : 2008 a remporté la palme de l’hyper sélection naturelle…

De cette saison horrible allait naître, en plus du désir d’évaluer en côte à côte les goûts et la productivité, celui de la résistance aux maladies et aux diverses conditions climatiques…

Je dois ajouter que cette année terrible en suivait déjà deux autres très moches, dont 2006 où 600 de mes plants de tomates avait été noyés. Bel et bien ensevelis sous l’eau.

Melon Jenny Lind
Melon Jenny Lind

J’ai bien peur, hélas, que nous ayons à revisiter une foule de lieux communs, les étés ne sont plus ce qu’ils étaient, la période sans gel s’allonge (j’ai récolté plus de haricots en novembre 2007 qu’en juillet de la même année), l’automne se montre en juillet au lieu de la canicule, de nouvelles maladies et de nouveaux insectes pointent le nez, bref, ce qui était n’est plus et c’est le chaos un peu partout.

Les changements climatiques nous affectent au quotidien, ce n’est pas un réquisitoire, pas un énoncé politique, mais une constatation pure et simple. Il nous faut plus que jamais miser sur la biodiversité.

Ce projet prend maintenant un sens tout à fait différent pour moi, j’agis avec un sens de l’urgence que je ne me connaissais pas. Tout-à-coup, ce melon de l’Inde sans nom, capable de mûrir pendant la saison des pluies me tente beaucoup, malgré son goût ordinaire. Ses gènes, incorporés à des melons d’ici, auraient pu jouer un rôle important au cours des trois dernières années dans ma melonnière. Il ira en polliniser d’autres cette année, et nous travaillerons dessus pendant les prochaines années. La capacité de résister au froid du “Melon de Lunéville, comme sa résistance aux maladies, nous travaillerons à la transposer dans d’autres types de melons. Et tous ces melons très hâtifs des montagnes asiatiques, il s’en trouvera bien parmi eux pour m’offrir de nouvelles possibilités en terre lourde…
Je me permets de rêver un peu. Si, sur seulement 40 cultivars de melons, je n’en ai semé que quelques-uns plutôt inconnus et que j’ai pu trouver de si belles surprises, je me languis des 500 qui suivent, la plupart seulement numérotés, sans identité, mais ayant traversé l’épreuve du temps dans des conditions que je sais difficiles. C’est là toute la beauté de la diversité génétique et toute l’importance de la protéger.

Je ne tiens pas à m’étendre sur la liste des melons de 2008, l’été fut trop exceptionellement pourri pour faire justice à plusieurs, mais je considère comme un miracle chaque melon délicieux que j’ai pu manger. Chacun des plants m’ayant donné au moins un bon melon est un guerrier qui mérite mon admiration, mais quelques-uns sortent vraiment du lot…

Mes suprises 2008

Le Melon de Lunéville

Bénissez tous le nom de la Société d’Horticulture de Lunéville. Les derniers survivants de cette société sauvegardaient à bout de bras cet extraordinaire melon, fils de “Noir des Carmes” et de “Prescott”. La preuve que un plus un ne fait pas toujours deux. Le “Lunéville”, pourtant presque inconnu en France, est un véritable cheval que rien n’arrête. Et il a probablement une des histoires les plus extraordinaires de tous les végétaux, mais c’est un autre sujet.

Melon de Lunéville ouvert
Melon de Lunéville ouvert

Je l’ai reçu deux semaines après avoir semé les autres. On m’avait promis un melon que rien n’arrêtait, qui résistait à tout. Lorsque mis en terre, une invasion de chrysomèles rayées du concombre a tout de suite frappé. J’ai traité tout de suite avec de l’huile de menthe poivrée dans de l’eau savonneuse, ce qui à la fois tue par contact et répulse par l’odeur. Mais les jeunes plants, beaucoup plus petits que les autres, avaient été aussi beaucoup plus malmenés, presque entièrement mangés. Un mois plus tard, le “Lunéville” dépassait en taille et en robustesse tous les autres. Et mon ami Gérard Menou, dans le Morvan, avait lui aussi ses “Lunévilles” beaucoup plus costauds que les autres, photos à l’appui.

Puis est venue en août une fatale épidémie de mildiou de Cuba (downy mildew). Plusieurs de mes melons ont péri, d’autres ont survécu mais ne s’en sont jamais remis. Ajoutez à cela un été sans soleil (les melons ont besoin de “voir” le soleil, l’absence de pluie n’est pas suffisante au bon mûrissement), des records de pluie et un juillet automnal.

Malgré tout, début septembre, le diable de melon arborait encore sa jungle de feuillage intacte, les 2 plants m’ayant donné 5 melons de plus de deux kilogrammes et un sixième qui s’est presque rendu au bout avant les gels. Mais surtout, quand tout le reste de la melonnière avait péri, succombé au syndrome de la mort subite, causé par les nuits très froides, il restait encore glorieusement vert et sain.

Quand au goût, vous n’avez qu’à voir du côté de papa et maman… Et franchement, qu’il aille fallu qu’un Canadien supporte d’héroïques Lorrains afin que la France le découvre, ça me fait un petit velours… Nous travaillons cette année à en produire de la semence… et il y a beaucoup de semenciers qui piaffent d’impatience d’en recevoir. Un conseil si vous mettez la patte dessus, veillez à ce qu’il ne reçoive pas trop d’eau dans les dernières semaines. Si le conseil vaut pour tous les melons, c’est encore plus vital pour lui car en plus, il n’arrêtera pas de grossir. “”

Consul Schiller

Il n’a pas eu le glorieux feuillage du Lunéville, mais malgré son air piteux m’a donné presque autant de melons. Le goût était plutôt moyen, mais dans ces conditions, c’est déjà remarquable, la plupart des favoris, comme le “Vieille France”, “Charentais”, “Boule d’or” et les autres n’ont rien fait qui vaille… J’ai même déraciné “Noir des Carmes”…
D’autres variétés ont moins produit mais ont quand même réussi à me donner d’excellents melons, ce qui est un exploit :

Sara

C’est le nom que je lui ai donné temporairement, il s’agit d’une variété numérotée venue d’Israël, un melon brodé à chair verte, absolument délicieux, avec une minuscule cavité. Un rêve… Il me reste quelques années d’évaluation…

Streit Freiland Grungenetz

Un cadeau de Frank Van Keirsbilck, mon ami flamand, un de ses préférés. Un régal rare, un melon brodé à chair verte haut de gamme, pensez à “Ananas d’Amérique” à chair verte.

Ringleader

Un melon à chair verte originaire de Suède, à mi-chemin entre un “Honeydew” et un melon brodé. Apparence du melon brodé, mais une chair presque aussi ferme qu’un honeydew. Un excellent melon pour la restauration, une saveur plus riche que le honeydew et la capacité de supporter une certaine manipulation. J’ai la ferme intention de le proposer à quelques restaurateurs et hôteliers. Idéal pour une salade de fruits, un buffet. Mérite amplement d’être découvert.

Altaï

Un melon des montagnes d’Asie Centrale. Délicieux, hâtif à souhait, sa chair orangée est fondante et assez parfumée, je n’en attendais vraiment pas autant d’un melon réussissant dans les prairies canadiennes. Ce n’est pas le “Petit gris de Rennes”, mais franchement, si j’habitais dans le nord de la France ou en Belgique, il y en aurait toujours quelques-uns dans ma melonnière. Une délicieuse police d’assurance en cas de saison moche… Celui-là, au moins, il est disponible tout de suite (on s’occupe des autres) chez Prairie Garden Seeds en Saskatchewan, au Canada. Jim Ternier, le fondateur, est un francophone, et il était l’an dernier président de Semences du Patrimoine Canada, un peu l’équivalent de Kokopelli, en beaucoup plus petit…

Le projet d'évaluation HIP GNOSIS, 2009…

Melon Esperanza de Oro
Melon Esperanza de Oro

Les melons seront pour la plupart évalués en climat frais, en Ontario et dans le nord des USA, de même qu’en quelques autres endroits pour certains, dont le Nord de la Californie et l’Europe, l’Ontario et le Minnessota se séparant la part du lion. Tous les melons seront cultivés sur plastique noir mais sans abris. Du fumier frais de cheval sera enfoui sous un monticule de vieux funier mélangé au sol, avec un amendement de chaux horticole. Rien sous serre ou sous abris, pour déterminer les plus rustiques. Les résultats des évaluations et des photographies seront disponibles sur le net, sur le forum HOMEGROWN GOODNESS (http://alanbishop.proboards60.com/index.cgi) et sur le site de Kokopelli. Si vous possédez des souches de melons que vous croyez dignes d’intérêt, venez tout simplement me l’indiquer sur Homegrown Goodness, où je suis modérateur sous le pseudo CANADAMIKE. Nous serons heureux d’accueillir quiconque désire nous aider dans le projet, il y a des milliers de trésors à découvrir…

Le projet s’échelonnera sur plusieurs années, et un programme de création variétale issue des travaux d’évaluation sera mis sur pied en cours de route. Le grand créateur américain de variétés Tim Peters sera sans doute d’une aide remarquable dans le projet. Tim a longtemps travaillé sur les melons nordiques, et certaines de ses souches, utilisées en Norvège et au Danemark, seront intégrées au projet. Pour nous, gens du nord, le syndrome de la mort subite, que l’on pourrait aussi surnommer le syndrome des nuits froides de fin d’été, est une barrière qu’il faut franchir. Quant aux diverses résistances aux maladies, leur recherche, qui va de soi, n’a rien de vraiment reliée au climat, avouons-le. Le melon est une plante sensible et souvent fragile, c’est à nous, jardiniers enthousiastes et petits agriculteurs, d’y voir et de prendre nos affaires en main.

Melon Schoon's Hard Shell
Melon Schoon's Hard Shell

Oublions les recherches commerciales ou institutionnelles, elles ne visent malheureusement qu’à nous donner quelques types de melons à peine, la recherche du profit et de l’uniformité primant surtout, à condition que cela goûte le carton et que ça se transporte bien, sauf quelques très rares exceptions.

Bienheureux le melon de carton pâte, le paradis des supermarchés, lui, est promis.

Et tant pis pour les jardiniers de la gueule. À moins qu’ils ne se crachent dans les mains…