PROCÈS INTENTÉ PAR LE GNIS ET LA FNPSP

Texte du Jugement du Tribunal d’Alès (14 mars 2006)

LA JURIDICTION DE PROXIMITE D’ALES

4ème classe

JUGE DE PROXIMITE : Mme Leila REMILI

MINISTERE PUBLIC : Mr le Commissaire

GREFFIER : Mr VASAPOLLI

PREVENU :

GUILLET Dominique, Président de l’association KOKOPELLI, demeurant Quartier st Martin 07200 AUBENAS, né le 20 Juin 1953 à St Nazaire ( Loire Atlantique) .

Non comparant, ni représenté.

Infraction reprochée

D’avoir le 19 mai 2004 à Alès (30) KOKOPELLI Imp. Des Palmiers, commis L’INFRACTION AUX REGLEMENTS PRIS POUR L’EXECUTION DE LA LOI SUR LES FRAUDES.
Contravention prévue par l’article L.214-2 AL.1, L.214-1 du Code de la consommation.

PARTIES CIVILES :

  • 1) GROUPEMENT NATIONAL INTERPROFESSIONNEL DES SEMENCES, GRAINES ET PLANTES
    44 Rue du Louvre-75001 PARIS
    Représenté par le Cabinet d’Avocats GERARD & Associés, 25 Rue Paul Valéry – 75116 PARIS
  • 2) FEDERATION NATIONALE DES PROFESSIONNELS DE SEMENCES POTAGERES ET FLORALES
    17 Rue du Louvre – 75001 PARIS
    Représentée par Maître BLOCH-MOREAU Sylvie, Avocat, 75 Avenue de Breteuil – 75015 PARIS

DÉBATS ET PROCÉDURE :

L’affaire appelée à l’audience du 15 novembre 2005 a été mise en délibéré au 10 janvier 2006.À cette date, le prononcé du jugement a été renvoyé à la prochaine audience publique de la juridiction de proximité, le 14 mars 2006.

Lors des débats publics, le Juge de Proximité a constaté l’absence du prévenu et donné connaissance de la citation du 28 Octobre 2005 qui a saisi la juridiction.

Le Ministère Public a requis l’application de la loi.

DISCUSSION

SUR L’ACTION PUBLIQUE

Attendu que M. Dominique GUILLET, président de l’association KOKOPELLI, est prévenu d’avoir commercialisé des semences de variétés non conformes et dans des sachets ne comportant pas un étiquetage conforme.

Qu’un procès verbal a été dressé par la DDCCRF du Gard, à Alès, le 19 mai 2004.

Qu’il est poursuivi sur la base des textes suivants :

  • Article 2-1-1° du décret n° 81-605 du 18 mai 1981 pris pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plants (article L.214-1 du code de la consommation) qui dispose que :
    • Ne peuvent être mis sur le marché en France sous les termes – « semences » ou « plants » suivis d’un qualificatif les produits qui ne répondent pas aux conditions suivantes :
      • Appartenir à l’une des variétés inscrites sur une liste du catalogue officiel des plantes cultivées ou, à défaut, sur un registre annexe conformément aux dispositions des articles 5 à 8 ci-dessous. Cette condition n’est pas exigée pour les semences et plants vendus sans indication de variété.
    • Article 12-2° du décret n°81-605 du 8 mai 1981, pour non respect de l’article 7-b de l’arrêté du 15 septembre 1982 édictant les dispositions relatives à la commercialisation de légumes et mentionnant les conditions d’étiquetage.
      • – Le marquage des semences de légumes doit comporter, de façon apparente et en caractères facilement lisibles, les indications suivantes, libellées en langue française :
      • – Le nom de la variété tel qu’il figure au catalogue des espèces et variétés ou sur les listes ou registres en tenant lieu.

Que ces faits sont punis comme contraventions de la 3ème classe par l’article L.214-2 du code de la consommation.

Attendu qu’il ressort du dossier de procédure que M. Dominique GUILLET invoque de manière récurrente la Directive 98/95/CE du Conseil du 14 décembre 1998 modifiant, quant à la consolidation du marché intérieur, aux variétés végétales génétiquement modifiées et aux ressources génétiques des plantes, les directives 66/400/CEE, 66/402/CEE, 66/403/CEE, 70/457/CEE et 70/458/CEE concernant la commercialisation des semences de betteraves, des semences de plantes fourragères, des semences de céréales, des plants de pommes de terre, des semences de plantes oléagineuses et à fibres et des semences de légumes ainsi que le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles.

Qu’ainsi par exemple dans le procès verbal dressé par la DDCCRF du Gard le 19 mai 2004 ( dossier contentieux côte IV ) le prévenu a déclaré avoir « demandé en décembre 2002 au Ministre de l’Agriculture et à ses différents services (GNIS, CTPS, Bureau de la sélection végétale ), d’inscrire les variétés de la collection KOKOPELLI dans le catalogue officiel en respect de la directive européenne 98-95 portant sur l’inscription de variétés de terroirs en processus d’érosion génétique et sans détermination de DHS ».

Que par courrier en date du 10 janvier 2003, le GNIS ( Groupement National Interprofessionnel des Semences, graines et plants ) prend note de cette demande, précisant toutefois que « les modalités de gestion des variétés de conservation n’ont pas encore été définies, ni au niveau communautaire, ni au niveau français » et regrettant que l’association KOKOPELLI fasse référence à « une réglementation non encore existante ».

Que le Groupement d’Etudes et de Contrôle des Variétés et des Semences (GEVES), par courrier du 22 janvier 2003 répondait avoir bien reçu la lettre du 27 décembre 2002 « concernant l’inscription d’un certain nombre de variétés potagères au catalogue officiel comme variétés de conservation » ; le GEVES déclarant « les modalités de fonctionnement de cette liste ne sont pas encore totalement arrêtées au niveau de l’Union Européenne ».

Sur la directive 98/95/CE du Conseil du 14 décembre 1998 et sa transposition en droit français

Attendu que cette directive prévoit que « des conditions particulières sont fixées pour tenir compte de l’évolution de la situation en ce qui concerne la conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes grâce à la culture et à la commercialisation de semences de races primitives et de variétés qui sont naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétique. » (article 6 modifiant la Directive 70/457/CEE du Conseil, du 29 septembre 1970, concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ).

Que l’état français a transporté la directive 98/95/CE par Décret n° 2002-495 du 8 avril 2002 modifiant le décret n°81/605 du 18 mai 1981 pris pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plants.

Que l’article 3-1 de ce décret prévoit que :

  • «Des conditions particulières de commercialisation sont fixées, en tant que de besoin, par arrêté du ministre de l’agriculture en ce qui concerne :
    • – (…) la conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes ;
    • – les semences ou plants adaptés à la culture biologique ;
    • – les mélanges de genres, d’espèces ou de variétés ;
    • – pour une période limitée, les semences appartenant à une variété potagère pour laquelle une demande d’inscription à un catalogue national a été introduite dans au moins un Etat membre de l’Union Européenne et pour laquelle des informations techniques spécifiques, définies par arrêté du ministre de l’agriculture, ont été fournies ».
  • Qu’il y’a lieu, dans ce cadre réglementaire, d’examiner si les textes constituant la base légale de la prévention sont applicables aux faits reprochés à M. GUILLET.

Sur l’invocabilité de la directive 98/95/CE : une invocabilité d’éviction

Attendu que le juge national peut toujours écarter l’application d’une loi nationale incompatible avec l’objectif d’une directive communautaire.

Attendu que la Commission Européenne considère que la directive 98/95 du 14 décembre 1998 a créé « le cadre juridique nécessaire permettant la mise sur le marché de variétés provenant de la conservation in situ et non reprises sur les listes officielles de semences répondant aux critères DUS ( caractère distinctif, uniformité, stabilité ) (COM 2001 162 final- Plan d’action en faveur de la diversité biologique dans le domaine de l’agriculture ).

Que le Commissaire Européen en charge de l’agriculture relève encore en 2003 « l’importance de la directive 98/95/CE du 14 décembre 1998 du Conseil qui a créé le cadre juridique requis pour offrir la possibilité d’autoriser la commercialisation de semences de races et de variétés indigènes, qui sont naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et qui sont menacées par l’érosion génétique, afin de contribuer à la conservation in situ (2003/C 242 E/104 ; question écrite E-0175/03 ).

Que la directive 98/95 précise en ce qui concerne les « conditions particulières de commercialisation » :

  • «Les races primitives et variétés sont admises conformément aux dispositions de la présente directive. La procédure d’admission officielle tient compte des caractéristiques et conditions spécifiques en matière de qualité. En particulier, les résultats d’essais non officiels et les connaissances acquises sur la base de l’expérience pratique au cours de la culture, de la reproduction ainsi que de l’utilisation et les descriptions détaillées des variétés et les dénominations qui s’y rapportent, notifiées à l’État membre concerné, sont pris en considération et, s’ils sont concluants, dispensent de l’examen officiel. Une fois admise, cette race primitive ou cette variété figure en tant que “variété de conservation” dans le catalogue commun. » (article 6).

Qu’enfin les directives postérieures à 1998 et relatives à chaque type de semences prévoient toutes le cas des variétés de conservation.

Attendu certes que les directives de commercialisation par type de semences dont, par exemple, la directive 2002/55 du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation de légumes prévoient l’intervention du comité permanent des semences afin que soient déterminées les dispositions relatives à l’inscription et la commercialisation des variétés de conservation ; que ce comité aurait été saisi à plusieurs reprises (la dernière datant de décembre 2003) et ne s’est jamais prononcé.

Que pour autant ces directives ne procèdent qu’à la codification des dispositions antérieures, dans un « souci de clarté et de rationalité » et ne remettent pas en cause le cadre juridique fixé en 1998.

Qu’elles ne portent pas atteinte aux obligations des états membres concernant le délai de transposition de la directive 98/95 au 1er février 2000 (voir les « considérant » 1 et 35 de la directive 2002/55/CE).

Attendu qu’il existe bien tant au niveau communautaire qu’au niveau national le cadre légal susceptible de permettre l’inscription de variétés de semences anciennes sur un catalogue officiel.

Qu’à ce jour aucun arrêté n’est intervenu à la suite du décret n°2002-495 susvisé du 8 avril 2002.

Que pour autant il ne peut s’agir que de mesures d’application notamment de détermination des conditions d’inscription au catalogue.

Que dès lors l’incrimination générale des variétés de semences anciennes commercialisées par l’association KOKOPELLI, au motif de leur non inscription sur le catalogue officiel ou le registre annexe, est incompatible avec les objectifs du droit communautaire de créer une liste de « variétés de conservation ».

Qu’enfin rien ne permet de soutenir, en l’absence justement de détermination précise des conditions de leur inscription au catalogue, que les semences de KOKOPELLI ne seraient pas éligibles à cette procédure.

Qu’il y’a donc lieu d’écarter, dans le cas de Dominique GUILLET, l’application des articles 2-I 1° et 12-2° du décret n°81-605 du 18 mai 1981.
Que M.Dominique GUILLET sera donc relaxé des fins de la poursuite.

SUR L’ACTION CIVIQUE

Attendu qu’en cas de relaxe, la juridiction répressive ne peut plus statuer sur l’action civile.

Qu’il y’a lieu de débouter le Groupement National Interprofessionnel des Semences, graines et plants (GNIS) et la Fédération Nationale des Professionnels de Semences Potagères et florales (FNPSP) de l’ensemble de leurs demandes.

PAR CES MOTIFS

La juridiction de proximité, statuant publiquement, par jugement contradictoire à signifier et en premier ressort,

SUR L’ACTION PUBLIQUE

RELAXE M.Dominique GUILLET

SUR L’ACTION CIVILE

DEBOUTE le Groupement National Interprofessionnel des Semences, graines et plants (GNIS) et la Fédération Nationale des Professionnels de Semences Potagères et florales (FNPSP) de l’ensemble de leurs demandes

Laisse les dépens à la charge de l’Etat.

Ainsi fait et jugé le 14 mars 2006.

Le présent jugement a été signé par le juge de proximité et le greffier.

Le juge de proximité Le greffier

Leïla REMILI Gérard VASAPOLI